Ce qui se passe sur la scène politique depuis l’instauration du nouveau régime politique, issu de la Constitution, fera probablement l’objet dans les années à venir de l’un des champs de recherche les plus prisés pour tous les spécialistes en droit constitutionnel et en science politique. En effet, et si à l’origine, quoique s’agissant d’un système bâtard par rapport aux régimes politiques connus jusque-là, il aurait pu fonctionner conformément aux us et coutumes des régimes classiques. Mais, il s’est transformé en un régime difforme…
La pratique politique a aggravé la situation et développé des effets dont la perversité a amené vers un blocage et une crise politique ouverte. Aujourd’hui, on se retrouve dans une situation que l’on pourrait qualifier de kafkaïenne avec un Chef de gouvernement qui agit en électron libre indépendamment de son propre parti politique, chose inimaginable dans un régime politique classique et démocratique. Car, ce dernier doit être, théoriquement, la première force qui le soutient, ainsi que son équipe et son programme.
Mais, la décrépitude de Nidaa Tounès a aggravé la situation. L’absence de structures rationalisées et d’une direction clairvoyante tirant sa légitimité de ses propres militants et jouissant de leur confiance est la principale cause de la déliquescence du parti. Nidaa Tounès paie le tribut d’une gestion autoritaire et personnelle imposée par Hafedh Caied Essebsi (H.C.E) qui avait eu, pour premier effet, le départ de plusieurs parmi les personnalités du parti dont certains ont tenté de créer leur propre mouvement ainsi que celui de plusieurs députés qui ont quitté son bloc parlementaire.
Mais le soutien conditionné des Islamistes à Youssef Chahed a fait capoter les visées de HCE, ce qui lui a permis de poursuivre son œuvre de séduction en misant sur les députés nidaistes au sein de l’ARP. La création du bloc de l’Union Nationale et la dernière démission de huit nouveaux députés ont été la goutte qui a fait déborder le vase. Nidaa Tounès et HCE, mis au pied du mur, ont réagi en exigeant des explications de Youssef Chahed que ce dernier a snobé dans la mesure où, désormais, il se place en dehors de ce parti,ajouté à l’aspect ridicule de la démarche. Que ce soit pour les uns que pour les autres, cette situation n’est guère rassurante !
Pour Nidaa Tounès, les choix se rétrécissent avec un bloc parlementaire qui s’est réduit comme peau de chagrin au point qu’il risque de n’avoir plus aucun poids, ou presque, au sein de l’ARP. Le seul salut du parti passe, aujourd’hui, par une totale refondation et une restructuration qui aurait des chances de ramener les mécontents, mais qui doit se conjuguer, me semble-t-il, avec le départ de HCE dont l’existence politique sur la scène nationale dépend exclusivement de la volonté de son père.
D’ailleurs, et comprenant qu’il n’avait que des chances minimes, voire aucune chance de contrôler l’appareil de Nidaa Tounès, Youssef Chahed semble s’être lancé dans un projet autre, tout à fait indépendant. Il comptera sur les élus de ce nouveau bloc parlementaire qui paraît le soutenir et qui paraît motivé par la création d’un mouvement ayant la capacité de réaliser l’équilibre au sein du paysage politique en rapport avec les Islamistes. Ces derniers espèrent de leur côté tirer profit de ce marasme frappant la famille politique centriste pour remporter un succès électoral écrasant lors du scrutin de 2019.
Lotfi LARGUET
Tunis-Hebdo du 17/09/2018