Mercredi 17 octobre, la Tunisie a célébré la journée nationale de sensibilisation au don d’organes. Une manière de rappeler aux millions de nos concitoyens l’importance vitale que cet acte suscite.
Alors que la transplantation d’organes connaît un essor considérable grâce à l’évolution des techniques médicales et à l’augmentation de l’espérance de vie des patients greffés, elle demeure, encore, sujette à caution au sein des populations arabo-musulmanes.
Faire don d’une partie de soi est une des choses les plus honorables qui existe. Mais c’est également l’une des pratiques les plus controversées dans les pays du Maghreb. Bien qu’au premier abord les Tunisiens sont convaincus de la nécessité de greffer un organe à des fins thérapeutiques, beaucoup d’entre eux, cependant, n’approuvent pas le caractère anonyme du don.
De l’Islam à l’éthique
Les raisons les plus invoquées sont, la plupart du temps, d’ordre religieux. En général, la famille qui est d’accord sur le principe du don d’organes d’un de leur proche en mort encéphalique, désire connaître l’identité du receveur afin de voir si cette personne le « mérite » ou pas.
Plusieurs cas de refus ont été rapportés au Proche-Orient sous prétexte que le donneur et le receveur n’étaient pas de la même religion. Pourtant, le verset 32 de la sourate 5 du Coran indique « quiconque fait don de la vie, c’est comme s’il faisait don de la vie à tous les hommes » .
En Tunisie, une des raisons principales qui poussent les familles du défunt à refuser le don, c’est la crainte que ces organes alimentent un éventuel trafic. D’après les chiffres du Centre national pour la promotion de la transplantation d’organes (CNPTO), 42% des Tunisiens sont, en effet, convaincus qu’il y a un trafic d’organes à l’échelle nationale. Par ailleurs, toujours selon le CNPTO, 44% des Tunisiens sont contre le don d’organes après la mort.
Toutefois, il est indispensable de rappeler que le don d’organes est extrêmement bien encadré et réglementé.
Que dit la loi tunisienne ?
Depuis le 25 mars 1991, la loi n°91-22 régit le prélèvement et la greffe d’organes humains sur, respectivement, le cadavre et le donneur vivant. Il est stipulé qu’aucun prélèvement ne peut avoir lieu qu’après constatation de la mort encéphalique conformément à ladite loi et à la décision du ministère de la Santé publique, en date du 16 octobre 1998, relative à la définition de la mort.
Cette mort doit être constatée par deux médecins hospitaliers ne faisant pas partie de l’équipe qui prélève ni de celle qui greffe. Ces deux médecins doivent attester la réalité de cette mort en se basant sur les critères fixés dans la décision du 16 octobre 1998.
La mort encéphalique se définit par l’arrêt de la perfusion cérébrale, qui entraîne la disparition de toutes les fonctions cérébrales puis la destruction irréversible de l’encéphale (cerveau). Elle est caractérisée par au moins cinq critères cliniques et un critère para-clinique. Généralement, un encéphalogramme plat (absence d’activité électrique du cerveau) confirme avec précision l’état de mort encéphalique.
A noter que le prélèvement ne peut s’effectuer qu’uniquement sur une personne maintenue en vie artificiellement, c’est-à-dire, dont les organes périphériques continuent à être irrigués par la circulation sanguine.
Lorsqu’un donneur cadavérique est jugé apte au prélèvement, le personnel médical vérifie tout d’abord sa carte d’identité nationale (CIN) s’il est mentionné que le défunt est « donneur ». Auquel cas, le personnel prévient la famille qui ne peut s’opposer au prélèvement.
Si aucune mention ne figure sur la CIN, on consulte le registre national de refus dans lequel, jusqu’à présent, personne n’est inscrit. Ensuite, on demande l’autorisation des proches parents du défunt selon l’article 3 de la loi n°91-22. Par ordre de priorité, on demande l’avis des enfants du défunt, du père, de la mère, du conjoint, des frères et sœurs et enfin, du tuteur légal. En l’absence de tout ce monde, le personnel médical a le consentement supposé.
Malheureusement, malgré la longue liste d’attente des demandeurs de greffe dans le pays, 86% des familles s’opposent au prélèvement d’organes sur leur défunt, d’après le CNPTO.
Mohamed Habib LADJIMI
Tunis-Hebdo du 29/10/2018