On entend presque quotidiennement les rumeurs parfois les plus alarmantes sur la situation économique du pays. L’héritage qui aurait été légué au gouvernement de Mehdi Jemâa paraît si désastreux que l’annonce de difficultés de paiement de la rémunération des agents publics avait rempli la» une des journaux.
Ces nouvelles ont été, par ailleurs, confirmées par le gouvernement qui avait exprimé ses craintes quant à la possibilité de voir l’État ne pas respecter ses engagements financiers. Les premières initiatives prises par Mehdi Jemâa se traduisirent par des visites chez les pays amis à la recherche d’un soutien économique et financier pour pouvoir faire face à cette situation.Il faut dire à ce sujet qu’il a surtout été entendu par les bailleurs de fonds occidentaux qui ont, tous, fait un geste en direction de notre pays. Les États-Unis avaient accordé des garanties, des pays de l’Union européenne ont décidé de transformer une partie de leurs créances en projets de développement alors que nos « frères » arabes ont brillé par leur indifférence aux doléances tunisiennes. Il faut dire que le prix à payer politique semble au-dessus des capacités d’un gouvernement, en réalité peu soutenu sur le plan intérieur, du moins par les partis politiques présumés influents.
Cette situation économique appelle, donc, des mesures de nature à permettre de relancer l’activité économique, d’inciter les investissements, tunisiens ou étrangers, à prendre des décisions urgentes couvrant certains aspects structurels, bref des résolutions qui viendraient remettre sur les rails le pays.
Mais, le gouvernement semble s’enliser et tergiverser quant aux décisions susceptibles d’être prises dans ce domaine. Il semble, d’abord, rechercher un certain consensus national avant de franchir ce pas à travers le dialogue économique national dont le coup d’envoi a été déjà donné, mais qui ne devrait réellement démarrer qu’à la fin de ce mois. L’objectif recherché par Mehdi Jemâa et son équipe est une sorte de blanc-seing qui lui permettrait d’avoir les coudées franches afin de prendre ces décisions dont on affirme qu’elles risquent d’être particulièrement douloureuses, notamment pour les classes moyennes ou défavorisées qui ont, pourtant, été frappées de plein fouet par la crise actuelle, surtout l’inflation qui les a sensiblement appauvries.
La tenue de ce dialogue suscite quelques cri¬tiques quant à sa réussite pour diverses raisons dont les principales se rapportent tout d’abord à la lenteur de ce genre de processus, le dialogue national politique en est un exemple frappant, alors que les mesures nécessaires pour la relance économique seraient urgentes. Ensuite, il faut s’attendre à un âpre débat sur les orientations à suivre et les mesures à prendre vu la diversité des points de vue sur la question économique aux antipodes les uns des autres en fonction des « doctrines » défendues par les partis concernés par ce dialogue. En effet, l’analyse de la situation et les solutions envisagées diffèrent, voire sont en parfaite contradiction, ce qui risque de déboucher sur un échec retentissant, et le consensus tant souhaité pourrait ne pas voir le jour. Ce qui compliquerait, davantage, la tâche du gouvernement qui se retrouverait dans une situation quasi inextricable avec une marge de manœuvre très réduite.
Il faut dire, aussi, que sur ce plan, il convient de relever que le gouvernement doit faire face à deux critiques auxquelles il n’arrive pas à répondre. La première consiste dans celle émanant de l’UGTT quant aux chiffres avancés sur l’état des finances de l’État que la Centrale syndicale soupçonne de ne pas correspondre à la réalité. D’où sa détermination à voir les salaires s’améliorer à cause de la chute du pouvoir d’achat des salariés. La seconde se rapporte à la désignation des responsables de cette détérioration des finances de l’Etat, une question tout aussi délicate dans la mesure où elle pourrait mécontenter les Islamistes d’Ennahdha, et ses partenaires de la Troïka, qui ont toujours défendu leur gestion du pays pendant les deux années ayant suivi leur intronisation à la tête du pays.
Autrement dit, ce dialogue national risque de se transformer, rapidement, en un véritable dialogue de sourds et surtout s’éterniser. Pourtant, il semble que le gouvernement pourrait déclencher un processus de rénovation économique et envisager quelques solutions simples mais efficaces.
Annoncer la réduction de la rémunération des ministres ou la rationalisation de l’usage des voitures administratives demeure finalement démagogique par rapport aux autres décisions qu’il conviendrait de prendre. Celles-ci sont nombreuses, mais probablement difficiles à mettre en place pour une équipe gouvernementale qui a une durée de vie limitée à quelques mois. Le gouvernement de Mehdi Jemâa n’est pas appelé à prendre de nouveaux grands choix structurels. Il n’en a pas le temps, et de plus, il ne dispose pas de la légitimité politique nécessaire pour le faire.
C’est pour cela qu’il lui faudrait opter pour des solutions plus simples à mettre en œuvre comme celles relatives à la fiscalité qui pourrait permettre à l’État de bénéficier de recettes supplémentaires. Aujourd’hui, ce sont surtout les salariés qui remplissent les caisses de l’État alors que d’autres corps de métier ou corporations ne paient que des miettes, alors qu’ils génèrent des revenus importants. Il faut, donc, établir une certaine justice fiscale grâce à des tech¬niques appropriées qui exigeraient, par la suite, une exécution efficace de la part de l’administration fiscale. Ensuite, il conviendrait d’agir sur les prix afin de les maîtriser davantage pour contenir l’inflation. Et enfin, continuer à lutter contre l’économie parallèle et prendre des mesures incitatives pour l’encouragement des investissements.
Autrement dit, le gouvernement Jemâa devrait adopter une démarche humble et des mesures concrètes tout en développant un discours pour le rétablissement de la « valeur » travail, un peu comme il l’a fait dans son « speech » du 1er mai.
L. L.