D’après les derniers chiffres publiés, le 11 juillet 2018, par le site BDM, expert en statistique du web, 4,1 milliards d’habitants sur 7,6 utilisent régulièrement internet (54% de la population mondiale) et 3,3 milliards sont actifs sur les réseaux sociaux (43% de la population mondiale). Bien qu’internet et ses plates-formes de rencontre ont révolutionné le monde de la communication depuis ces dix dernières années, un phénomène, pour le moins inquiétant, s’empare progressivement de la vie sociale des gens.
« La semaine dernière, j’avais hâte d’aller boire un verre et de passer du bon temps avec mes potes. On s’était retrouvé dans l’un des somptueux cafés du Lac à manger une crêpe et à boire un café tout en fumant une clope. Cinq minutes après avoir passé nos commandes respectives, mes trois amis ont dégainé leur smartphone et se sont murés dans un silence de cathédrale en balayant l’écran de leur index.
Plus un mot ne sortait de leur bouche. Je n’avais le droit qu’à quelques murmures d’approbations, des hochements de tête et des rictus crispés ». Voilà comment Anis, un jeune étudiant en médecine, passionné de culture générale et des débats sans fin sur tout et n’importe quoi, a qualifié sa sortie. « La dernière du genre », promit-il. Hélas, la mésaventure d’Anis n’est pas un cas isolé.
Au bon vieux temps
Peu importe leur classe sociale ou leur niveau d’études, les gens, particulièrement les jeunes, se renferment de plus en plus dans un univers virtuel qui les déconnecte du monde réel. La facilité par laquelle on peut, à la fois, jouer, discuter et s’informer, ne laisse plus de place aux véritables interactions humaines, celles qui mettent en exergues nos cinq sens et notre esprit critique.
A une certaine époque, pour ne pas paraître vieux jeu, les jeunes éprouvaient un certain plaisir à feuilleter un dictionnaire en admirant les drapeaux des différents pays ou en apprenant le nom des planètes du système solaire par cœur.
Il y avait également cette envie d’aller jouer dehors avec les copains un samedi après-midi ou de se mettre sur son 31 pour aller draguer la fille du voisin et l’emmener manger une glace. Ces petits gars sont les adultes d’aujourd’hui qui ont eu la chance de croquer la vie à pleines dents sans se soucier de ce que pense l’autre de telle photo ou de tel statut publiés sur un mur imaginaire.
« Je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître », aurait dit Charles Aznavour. Un temps que les prochaines générations ne connaîtront jamais, j’en ai bien peur.
Le côté obscur des réseaux sociaux
Reconnaissons-le tout de même, les réseaux sociaux ont énormément facilité le débit des interactions et du transfert de l’information, en particulier auprès des médias et des classes populaires qui vivent isolées des grandes villes. Il serait d’ailleurs malhonnête de leur jeter la pierre. Mais il est évident que, paradoxalement parlant, ces mêmes réseaux ont fortement contribué au développement d’un caractère asocial.
Un trait psychologique qui prend parfois des dimensions psychopathologiques lorsque des personnes seules et vulnérables sont contraintes au suicide par leurs propres « amis » et contacts. L’étude de Lee et Kwon (2018), publiée dans Public health, révèle que, durant 43 jours (du 16 octobre 2017 au 30 novembre 2017) 1702 tweets postés par 551 utilisateurs de Twitter ont appelé au suicide de telle ou telle personne.
De plus, les scientifiques ont constaté l’apparition de ce qui semblerait être un nouveau syndrome psychologique appelé « Facebook depression » et qui toucherait les adolescents hors de contrôle de leurs parents (O’Keeffe et al., 2011).
Dans un environnement aussi voyeuriste et aussi reclus, des pulsions perverses prennent le dessus sur la simple curiosité, ce qui génère un climat tendu et stressant entre les utilisateurs de ces réseaux. N’importe quelle publication ou commentaire peut devenir une source de conflits qui sont, pour la plupart, des malentendus. Tout simplement parce que derrière l’écran du PC ou du portable, il y a des gens qui ne savent plus parler dans les règles de l’art.
L’interlocuteur est totalement déshumanisé, ce qui incite aux insultes, aux menaces et aux lavages de cerveau sans le moindre argumentaire ou tentative de compréhension de l’autre. Résultat ? En 20 ans, le quotient intellectuel des gens a chuté en moyenne de 10 points !
Nul besoin d’abandonner son mur virtuel au profit d’une aventure rocambolesque en pleine forêt, mais il est recommandé d’établir un certain équilibre entre le réel et le virtuel afin de ne pas basculer dans une sorte de fanatisme du net et de ne plus être capable d’interagir avec les autres et défendre son opinion.
Mohamed Habib LADJIMI
Tunis-Hebdo du 10/09/2018