La majorité d’entre vous ont déjà reconnu cette photo restée dans les annales. L’instant qui a marqué l’histoire du sport olympique et plus généralement l’histoire de l’humanité. Or, cette photo ne révèle pas tous ses secrets.
Elle a trompé la plupart des gens, ceux qui ne font pas attention au troisième athlète, celui qui ne lève pas le poing sur cette photo mythique. Et pourtant… C’est peut être bien lui le plus grand héros de cette scène !
Respectivement premier et troisième du 200 mètres lors des jeux olympiques de 1968, à Mexico, John Carlos et Tommie Smith s’étaient illustrés lors de l’hymne américain en brandissant leur poing ganté en noir tout en se mettant pieds nus sur le podium et la tête baissée, signe de protestation contre la ségrégation raciale et les conditions difficiles des Afro-américains aux Etats-Unis.
Peter Norman, personne ne fait attention à lui !
Deux héros qui ont eu recours au sport pour défendre leurs droits ainsi que celui de millions de personnes afin d’instaurer une égalité raciale inexistante à cette époque où Martin Luther King, Malcolm X et bien d’autres en avaient fait les frais.
Sur cette photo, seuls Carlos et Smith attirent l’attention, les deux étant directement concernés, sauf que celui qui devrait attirer les regards, c’est surtout cet athlète australien, Peter Norman médaillé d’argent lors de cette même épreuve, qui ne lève pas les bras et qui ne montre aucun signe de protestation symbolisant à merveille l’archétype du conservateur blanc.
Et c’est pourtant lui le grand héros de cette soirée du 16 octobre 1968 qui, à première vue, n’a aucune complicité avec ces deux athlètes américains si ce n’est d’avoir rivalisé avec eux pour l’or olympique.
Du haut de son record mondial, Tommie Smith, avec 19 »78, avait mis la barre trop haute pour Peter Norman même si sa performance a été une surprise au vu des spectateurs. Mais l’Australien ne s’était pas distingué seulement sur la piste d’athlétisme.
Le gant noir, c’est lui…
En effet, Carlos et Smith avaient, avant de prendre acte, informé Norman de ce qu’ils envisageaient de faire et ça a été très bien pris par l’Australien. «Nous lui avions dit ce que nous allions faire, c’était une chose plus glorieuse et plus grande que n’importe quelle performance athlétique… Je m’attendais à voir de la peur dans les yeux de Norman, mais à la place nous y avons vu de l’amour», témoignera plus tard John Carlos.
Symboles des Black Panters, ces fameux gants noirs ont failli ne pas être de l’instant historique. En effet, il n’y avait qu’une seule paire de gants, chose qui a poussé Smith et Carlos à faire preuve de réticence à l’idée de porter les gants, sauf qu’au final ils porteront chacun d’entre eux un gant, sur les conseils de Norman qui s’est fait insistant, geste qui fera par la suite toute la force de la photo.
Focalisons nous mieux sur Norman dans la photo, on y voit le badge du Projet Olympique pour les Droits de l’Homme, groupe qui incitait les athlètes afro-américains à boycotter les jeux olympiques tant que leurs droits seraient bafoués.
Une carrière et une vie ruinées
Cet évènement aura eu des répercussions importantes sur la vie des deux coureurs américains faisant face à de multiples problèmes et de nombreuses menaces de mort, mais ce que l’on ignore, c’est que Peter Norman essuiera durant toute sa vie les conséquences de son soutien inconditionnel à Smith et Carlos.
Déjà, sportivement, ayant un avenir prometteur, il n’a pas été sélectionné avec son pays pour les jeux olympiques de 1972 à Munich, et ce malgré des prestations plus que satisfaisantes, ni même invité lors des JO en 2000 et organisés par son propre pays.
En Australie, où il y avait des lois d’apartheid très strictes et à une époque où le racisme était courant, Norman, renié par sa famille, était dans l’impossibilité de trouver un boulot faute d’une juste et courageuse prise de position qui lui a valu d’être par la suite considéré comme un traitre au regard de ses compatriotes. Il a d’ailleurs fini ses jours rongé par la gangrène, la dépression et l’alcoolisme.
Le refus de se repentir
Ce que l’on sait moins, c’est que l’athlète australien était invité à maintes reprises à regretter son comportement ainsi qu’à condamner le geste de Smith et Carlos en contrepartie de relancer sa prometteuse carrière et même à prendre part à l’organisation des jeux olympiques de Sydney, mais fidèle à ses convictions, Norman, pour qui la justice sociale est importante, a fait preuve de bravoure ne laissant pas tomber les deux athlètes américains pour se relancer sportivement et d’améliorer son image au regard des siens.
Héros masqué des JO de 1968, Norman n’aura jamais eu la gratitude et les honneurs qu’il méritait. Oublié de l’histoire et détesté de tous les Australiens à un temps où la ségrégation raciale était monnaie courante, son courage et sa détermination seront masqués par le geste de Smith et Carlos laissant ces derniers comme les véritables et «seuls» héros.
«L’homme qui n’a pas levé le poing» s’éteint finalement en 2006 à Melbourne. Signe de reconnaissance et de remerciements, les deux médaillés américains porteront son cercueil.
C’était la noble histoire du troisième homme de Mexico, celui qui, sans faire de bruits, a contribué à faire changer le destin de millions de personnes dans le monde.
M.C.
Retranscrit du texte de l’écrivain italien Riccardo Gazzaniga qui l’a écrit en mémoire de Peter Norman dont l’histoire est méconnue, contrairement à la photo, entrée dans la légende du sport.