Près de trois décennies après le lancement des premières politiques de valorisation des déchets, la Tunisie semble toujours enlisée dans une impasse écologique. Invitée mercredi 11 juin sur la radio Mosaïque FM, Ines Labiadh, coordinatrice du département de justice environnementale et climatique au Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES), a dressé un constat sans appel : la gestion des déchets demeure l’un des angles morts des politiques publiques.
Depuis 1996, l’État tunisien affiche sa volonté de moderniser ce secteur à travers le recyclage, la valorisation énergétique et la réduction des décharges. Mais « les approches traditionnelles ont montré leurs limites », juge Mme Labiadh. Selon elle, la prolifération de plus de 3 000 décharges anarchiques à travers le pays illustre l’inefficacité d’un système reposant encore largement sur l’enfouissement. « Dans certains pays, les déchets génèrent de la richesse. En Tunisie, ils produisent des crises », déplore-t-elle.
Les conséquences de cette gestion défaillante se font sentir sur la santé des populations, notamment dans des régions industrielles comme Gabès, où les maladies respiratoires et les cancers se multiplient. Le FTDES évoque régulièrement le phosphogypse rejeté par les usines chimiques comme source majeure de pollution. À l’échelle nationale, 6 000 décès prématurés seraient liés chaque année à la pollution de l’air, selon plusieurs études.
La réponse politique reste en deçà des enjeux. Le projet de nouvelle loi sur l’environnement, amorcé en septembre 2022, est toujours en cours de discussion. En l’absence d’un cadre réglementaire renouvelé, la société civile peine à faire pression sur les autorités. « Nous avons besoin d’une révolution environnementale à tous les niveaux : législatif, institutionnel et citoyen », insiste Mme Labiadh.
Face à l’inaction de l’État, certaines municipalités tentent de structurer localement des projets de tri et de compostage. Mais les moyens manquent. Pour le FTDES, il s’agit désormais de replacer la justice environnementale au cœur du débat démocratique, dans un pays où la crise écologique se conjugue à la crise sociale.