Tunis Hebdo | L’érosion continue de saper le pays et de le ruiner sur tous les plans à la fois économique, social et politique.
Sur le plan économique, les chiffres commencent à être très inquiétants menaçant les grands équilibres de l’Etat voire annonçant sa faillite, à la grecque, avec tout ce que cela pourrait avoir comme conséquences désastreuses sur tous les citoyens, ceux qui sont dans les postures les plus précaires ou les salariés. Le glissement du dinar vers l’abîme ne fait qu’aggraver les termes de l’échange et rendre encore plus problématique une éventuelle reprise.
Sur le plan social, le gouvernement n’arrive plus à garantir le minimum vital malgré les promesses, celles du ministre du commerce notamment, ou de juguler les prix qui continuent de s’envoler malgré l’existence d’une offre plus que suffisante. Autrement dit, même la loi de l’offre et de la demande, elle-même spéculative, est faussée. Les circuits commerciaux sont aujourd’hui entre les mains de puissants lobbies que l’Etat est impuissant à combattre.
Sur le plan politique, l’image de la classe politique poursuit sa chute incontrôlée vers les profondeurs au sein d’une opinion publique excédée, et qui n’arrive plus qu’à tourner en dérision des « responsables » qui ne semblent obnubilés que par leur course effrénée vers la succession du chef du gouvernement. L’image de l’inauguration « officielle » d’un café à Tunis par la ministre du tourisme et la présence d’une kyrielle de ministres à ce même « événement » atteint les cimes de la médiocrité intellectuelle et politique.
En fait, elle est aussi le résultat de l’initiative du Chef de l’Etat relative à la formation d’un gouvernement d’union nationale, qui a acéré les ambitions des uns et des autres qui se voient déjà occuper le siège du locataire de la Kasbah. Cette folie furieuse qui s’est emparée des prétendants, ceux qui font partie, ironie de la chose, du gouvernement Essid, et ceux qui sont en dehors, que ce soit dans les partis de l’alliance, Ennahdha, l’UPL ou Afek Tounès, ou encore ceux qui croient encore, contre vents et marées, en leur bonne étoile, est une nouvelle preuve de l’inanité d’une « classe » politique, dénuée de toute classe !
En fait, l’initiative du Chef de l’Etat a fait l’unanimité parce que les acteurs politiques et sociaux sont convaincus de la nécessité d’un changement dans la mesure où demeurer sans réaction face à la situation calamiteuse actuelle serait très dangereux pour la stabilité politique et pour les équilibres socio-économiques. Mais, ce changement est perçu différemment par les uns et les autres qui ne sont d’accord ni sur les délais, ni sur le contenu.
En ce qui concerne le rythme à suivre pour procéder à ce changement, les avis divergent. L’initiateur de la solution considère que ce changement devrait intervenir d’ici à la fin du mois de Ramadan alors que d’autres, comme les Islamistes, ne sont guère pressés et proposent la rentrée politique soit le mois de septembre prochain pour franchir le pas. Or les délais ne peuvent être fixés si l’on ne se met pas auparavant d’accord sur le contenu de ce changement, les deux aspects étant intimement liés.
Tout d’abord, il faudra régler la question d’Habib Essid. Intronisé chef de gouvernement du « néant » par Béji Caid Essebsi, l’homme a glissé peu à peu dans la toile islamiste où il puise son plus sérieux soutien. Aujourd’hui, il commence à être lâché par les Islamistes, par Ghannouchi lui-même, et sous l’influence des prétendants parmi eux qui défendent la thèse de revoir Ennahdha exercer directement le pouvoir de nouveau après l’expérience de la Troïka. Abandonné presque par tous, le chef du gouvernement semble vouloir jouer sa propre carte, seul.
Il fait alors dans le populisme découvrant les « vertus » de la « marche à pied » avec des visites dans les souks ou dans marchés populaires, se montrant « offusqué » par les difficultés vécues par les citoyens dans leur vie quotidienne, des difficultés dont il a connaissance et dont il est logiquement informé tous les jours…
Maintenant, le Chef du gouvernement peut provoquer une crisette politique s’il refuse de démissionner. Parce que l’homme s’est dit prêt à rester en poste et ne parait pas disposé à partir sans jouer toutes ses cartes. Mais, tous les indices montrent que BCE a opté pour son remplacement. De plus, il doit comprendre qu’en cas d’échec ou de désaveu, un responsable politique doit savoir partir la tête haute. Autrement, la constitution permet de « le démissionner », ce qui ne serait pas très difficile à obtenir…
Ensuite, il s’agit d’en déterminer les acteurs qui feront partie du prochain gouvernement. Sur ce plan, les deux organisations nationales, l’UGTT et l’UTICA, ont adopté une position logique en refusant de faire partie directement du gouvernement, tout en se tenant prêts à contribuer à l’élaboration du prochain programme de gouvernement. Elles continueront à jouer leur rôle naturel, celui dévolu à des représentants de la société civile, celui d’un contre-pouvoir et d’intermédiaire avec l’Etat.
Enfin, il conviendra de régler la question du programme qui conditionnera en grande partie la liste des participants dans le prochain gouvernement. L’alliance actuelle au pouvoir ne peut mettre au point qu’un programme puisé dans les convictions néo-libérales qui ont fait la ruine des peuples avec des politiques antipopulaires, comme ils sont entrain de le promettre au peuple, tout en exécutant les recommandations des bailleurs de fonds notamment les institutions financières internationales.
En revanche, les autres forces politiques souhaitent contribuer à l’élaboration d’un programme orienté vers une forme de démocratie sociale, c’est aussi le vœu du Chef de l’Etat, sans laquelle rien ne pourra être solidement édifié en Tunisie. Ce programme devrait comprendre deux volets : les priorités qu’il s’agit de traiter dans les plus brefs délais et les réformes à entreprendre de façon progressive.
Les premières propositions dans ce sens sont venues de la Centrale Syndicale ouvrière qui a appelé à la mise en place de stratégies nationales contre les fléaux frappant le pays (le terrorisme, la violence, la contrebande, la spéculation, le commerce parallèle ou l’évasion fiscale), ou en faveur des secteurs vitaux (phosphate, tourisme, énergie, agriculture, réforme fiscale, emploi, caisses sociales) tout en mettant en place les divers programmes de développement régional et les instances constitutionnelles.
La concrétisation de l’initiative présidentielle semble donc encore loin et pas simple. Il pèsera sur l’ensemble des partis une lourde responsabilité de travailler dans l’urgence afin de sauver le pays et de le sortir du marasme dans les délais les plus courts afin de repartir de l’avant. Il leur reviendra aussi de trouver les compromis nécessaires pour créer une atmosphère de concorde nationale et d’espoir, et provoquer une onde de choc optimiste dans un pays qui se laisse entraîner imperceptiblement vers le bas…
L.L.