Faut-il s’inquiéter de la solidité d’un crédit qui semblait, il y a quelques mois à peine, parfaitement sain ? C’est la question que soulève la lecture des états financiers 2024 de la BH Bank, récemment publiés sur le site du Conseil du marché financier (CMF). Au cœur de l’attention : une créance de 450,8 millions de dinars (MD) accordée à un groupe opérant dans le secteur de l’oléiculture.
Ce crédit, qui ne présentait aucun impayé au 31 décembre 2024 et figurait encore parmi les actifs « sains » de la banque, a depuis été reclassé en créance incertaine. Que s’est-il donc passé entre-temps ?
Une créance initialement saine, devenue incertaine
Selon le rapport des commissaires aux comptes, des éléments postérieurs à la clôture ont révélé une dégradation de la situation financière du débiteur, ainsi qu’une baisse de la valeur ou de la solidité des garanties associées. Résultat : la BH Bank a été contrainte de revoir son évaluation du risque et d’appliquer une reclassification selon les règles prudentielles.
Mais comment une exposition de cette ampleur a-t-elle pu basculer si rapidement ? Était-ce une détérioration soudaine de l’activité du groupe ? Une sous-évaluation du risque dès le départ ? Ou un manque de vigilance dans le suivi du dossier ?
Le montant de ce crédit représente près du double du capital social de la BH Bank (238 MD fin 2024) et 60% de son produit net bancaire (744,2 MD). Ces proportions, vertigineuses, posent un sérieux problème de concentration de risque.
La réglementation tunisienne, rappelons-le, interdit qu’un crédit à un seul client dépasse 20% des fonds propres nets de l’établissement, selon la circulaire BCT n° 91-24. Si ce plafond a été dépassé, comment la banque a-t-elle pu justifier une telle exposition ? Des dérogations ont-elles été accordées ? Et si oui, sur quels critères ?
Malgré ce contexte tendu, la BH Bank affiche en 2024 un résultat net de 108,5 MD, soutenu par des produits d’exploitation bancaire de 1 489,1 MD. Toutefois, elle a dû provisionner 275,2 MD pour couvrir ses risques sur créances, ce qui pourrait peser sur ses marges et sa capacité d’investissement à court terme.
Ce chiffre interroge également : quelle part de ces provisions est directement liée à ce crédit de 450 MD ? Et dans quelle mesure d’autres dossiers du même type pourraient encore être dissimulés parmi les créances « saines » ?
Plus globalement, ce dossier soulève des questions sur la gouvernance du risque crédit dans les banques tunisiennes, mais aussi sur le rôle de la supervision bancaire. À quel moment les signaux d’alerte ont-ils été identifiés ? Et quelles leçons le système bancaire tirera-t-il de cet épisode ?
Adel Ben Romdhane au cœur du scandale
Adel Ben Romdhane, figure emblématique du secteur oléicole en Tunisie, est ainsi désormais associé à l’un des plus gros scandales financiers de l’année. Cet important exportateur d’huile d’olive aurait bénéficié de ce crédit massif de 450,8 MD auprès de la BH Bank, mais dans le même temps il aurait quitté la Tunisie pour l’Espagne, ce qui alimente les soupçons de fuite organisée et jette un voile d’inquiétude sur les perspectives de remboursement.
Le cas Ben Romdhane soulève des questions lourdes de sens : comment un seul individu a-t-il pu obtenir un tel prêt ? Et surtout, qui, au sein de la banque, a validé ce montage risqué sachant que dans leur rapport, les commissaires aux comptes déclarent que le groupe d’Adel Ben Romdhane fait désormais face à des difficultés majeures dans le recouvrement de ses propres créances.