Le lundi, 11 août, l’Assemblée nationale constituante passe au vote, à partir de 14h30, du nouveau projet de loi organique N°09/2014 relatif à la lutte contre le terrorisme et la répression du blanchiment d’argent.
Le délai d’étude de ce projet (cliquez ici pour le lire ) par la commission de l’ANC a été limité à seulement 3 jours, un « délai trop court » constate la présidente-juge de l’Association des Magistrats Tunisiens (AMT) Raoudha Karafi.
Dans le cadre du vaste chantier de la nouvelle loi antiterroriste, projet élaboré par la Présidence du gouvernement, deux auditions ont été effectuées à l’ANC, le jeudi 10 juillet.
La Commission des droits et des libertés a entendu l’avis de la présidente de la Commission internationale des juristes, Kalthoum Kannou, ainsi que celui de la présidente de l’Association des magistrats, Raoudha Karafi.
«C’est un travail scientifique qui aurait dû être envoyé officiellement à toutes les instances et les personnes compétentes, avec un délai d’au moins un mois permettant l’étude d’un texte composé de 136 articles.»
La complexité inhérente à la création d’une nouvelle loi antiterroriste nécessitait la consultation de plusieurs éminents spécialistes. La multiplicité des avis permettant de mieux détecter les pièges d’un projet touchant aussi bien à la justice, aux droits de l’homme et à l’éthique sécuritaire d’un pays en phase de transition démocratique. Et pour un pays qui sort d’une dictature, le projet tel qu’il est rédigé actuellement est aussi liberticide que l’ancien, selon l’avis de Human Rights Watch.
Mme Karafi estime que l’entretien à l’ANC a été positif car elle a pu y discuter les articles avec les membres de la commission, non sans donner plusieurs recommandations.
Projet de la loi antiterroriste : Limites et recommandations
La présidente de l’AMT nous a indiqué que « même si le projet contenait une nette amélioration par rapport à la loi antiterroriste de 2003, certaine éléments essentiels manquaient. »
1.Manque de précision
D’abord, il manque de précision car, selon elle, « le sens des articles est miné par certaines généralités et plusieurs ambiguïtés. Par exemple les définitions exactes de l’acte terroriste, de l’appel au meurtre ou de l’apologie du terrorisme ne sont pas limpides et laissent présager des abus sécuritaires. »
Une définition rigoureuse doit donc se faire selon des critères internationaux bien précis : «On ne peut pas, par exemple, laisser l’article 13 sans y stipuler que les crimes terroristes sont définis selon les conventions internationales des Nations Unies », affirme-t-elle.
2.Une loi ordinaire et non organique
Par ailleurs, elle a exprimé son étonnement que ce projet soit conçu en tant que loi organique relative aux libertés. Puisque ses dispositions déterminent essentiellement des crimes, des délits et des infractions, il devrait, selon elle, être conçu en tant que loi ordinaire. Pour plus de précisions sur cela, nous renvoyons à l’article 65 de la Constitution tunisienne, faisant la différence entre loi organique et loi ordinaire.
3.Création d’une instance juridique indépendante
La juge Karafi a également recommandé de faire « des ajouts aux 9 articles qui vont du 51e jusqu’au 60e ». Dans ces textes qui traitent de procédures d’investigations délicates telles que l’interception, l’écoute, la vidéo surveillance, Madame Karafi a proposé à l’ANC de développer la création d’une chambre juridique indépendante :
« Cette chambre des libertés serait un équivalent collectif tunisien du juge des libertés qu’on peut trouver aux Etats-Unis. Elle surveillerait scrupuleusement toutes les atteintes aux libertés individuelles que pourraient commettre aussi bien le ministère de l’intérieur que le ministère de la justice, dans le cadre des enquêtes sur le terrorisme. Dans ce genre d’affaires, le fait que ce ne soit pas un seul juge qui s’attelle à cette tâche de surveillance et le fait que cette chambre soit composée de plusieurs membres, sont des conditions importantes. Elle permettraient d’éviter la forte pression éventuellement exercée sur une seule personne.»