Tunis Hebdo | A peine trois semaines après l’intronisation du nouveau gouvernement, toujours sous l’égide de Habib Essid, la Tunisie a été le théâtre d’importantes manifestations dont la dimension sociale n’a échappé à personne. Elles ont été menées essentiellement par les demandeurs d’emploi qui ne voient rien venir depuis un certain 14 janvier 2011.
Cinq ans déjà qu’ils espèrent et attendent mais ils ne voient, malheureusement, rien venir. Bien au contraire, les horizons semblent être complètement bouchés devant leur ambition de vivre dans la dignité comme ils l’avaient cru lorsqu’ils s’étaient soulevés contre la dictature.
Une bombe à retardement pour tous les gouvernants
Maintenant, et indépendamment de l’opportunité de ces mouvements et ce qu’ils ont engendré d’émeutes, œuvre de bandes parfaitement organisées et toujours à l’affût pour commettre les pillages ou les saccages, il nous semble judicieux d’analyser tout ce qui a entouré ces mouvements, leurs raisons et leurs causes, mais aussi leurs conséquences, la manière dont ils ont été traités et leurs retombées.
Tout d’abord, il convient de s’entendre sur la légitimité de ces mouvements. Il est évident que les centaines de milliers de chômeurs que comptent le pays, le chiffre oscillant entre 600 et 700 mille entre diplômés du supérieur (250 à 300 mille) et les autres, constituent une bombe à retardement pour tous les gouvernants qui se succéderont à la tête de ce pays.
Cependant, et comme on a pu le constater depuis la Troïka jusqu’à nos jours, c’est que ces jeunes chercheurs d’emploi ne peuvent rien escompter. La Troïka s’est « servi » pour se faire « dédommager », le gouvernement Jomaa n’a fait que gérer, et l’actuel continue sur « cette lancée » !
Un blanc-seing à tous les « casseurs »
Autrement dit, la légitimité de ces mouvements ne fait aucun doute mais ce n’est pas une raison pour que tous les intervenants dans la vie politique du pays le claironnent ouvertement, accordant pratiquement un blanc-seing à tous les « casseurs ».
Les partis politiques, faisant partie de la coalition gouvernementale ou l’opposition, ainsi que les responsables de l’exécutif, à commencer par le Président de la République, ont curieusement, et contre toute logique d’Etat, suivi le mouvement dans un élan populiste irrésistible afin de tenter une récupération qui n’est pas venue…
Incapacité à trouver des solutions innovatrices
Un homme d’Etat qui entend assumer ses responsabilités et privilégier la sécurité du pays au détriment de toute autre considération, surtout dans ce contexte particulièrement délicat dans l’histoire de notre pays, doit savoir affronter toutes les tempêtes en osant aller à contre-sens de l’opinion dominante !
Ensuite, et si nous osons une brève analyse des causes de ce mouvement, il faut aller le chercher dans l’incapacité de ce gouvernement à trouver des solutions innovatrices et à produire un discours ambitieux, vrai et mobilisateur, basé sur des faits précis et autour de slogans porteurs, et de nature à donner des motifs d’espoir à ces milliers de jeunes.
Nous n’avons pas cessé de dire, et depuis des mois, que les gouvernants actuels naviguent à vue sans aucune vision de l’avenir, ni plan de développement, ni orientations sociales, économiques ou culturelles. Curieusement, ils rendent responsable leur piètre politique de communication pour tenter de justifier leur échec !
Amateurisme et manque de maîtrise inquiétant
Pire, ils improvisent, jouant uniquement les pompiers qui interviennent pour tenter de combattre et éteindre le feu dans l’espoir d’empêcher l’embrasement de la situation. Les mesures prises à la hâte et dans la précipitation démontrent le désarroi d’une équipe gouvernementale qui n’est même pas d’accord sur son contenu !
Car, et entre ce qu’a dit le porte-parole du gouvernement (sic !), la personne censée être la mieux informée de tout le gouvernement, et qui ne doit donc pas se « tromper », et les démentis qui ont suivi, témoignent d’un amateurisme et d’un manque de maîtrise inquiétant pour des responsables appelés à donner une nouvelle impulsion au pays et à mener des combats sur de multiples fronts, économique et sécuritaire, exigeant une compétence technique, une habileté « managériale » et un courage politique de haute volée.
Ils n’affrontent pas ceux qu’ils accusent de vouloir détruire l’Etat
Ils semblent aussi incapables de lutter efficacement contre toutes les dérives et les tares sociales comme la corruption, le favoritisme, le clientélisme et tout ce qui crée le sentiment d’injustice qui nourrit tous les mécontentements.
Ils n’affrontent pas aujourd’hui ceux qu’ils accusent de vouloir détruire l’Etat et de tirer les ficelles ou d’agir derrière les rideaux de ces manifestations et des excès qui les ont accompagnés, déclarant pourtant qu’ils les connaissent bien (sic !) mais sans pour autant rien faire contre eux et les soumettre à la loi !
Un désaveu populaire ayant une grande portée politique
En tous les cas, et sans verser dans l’exagération dont est devenu coutumier un certain ancien président de notre pays (re-sic !), ce mouvement est un désaveu populaire ayant une grande portée politique, et tout ce qu’il y a de plus flagrant pour un gouvernement qui paraît complètement hors du coup et hors sujet.
On risque, si on ne l’interprète pas comme il se doit, et d’une manière pertinente, de nous enfoncer dans la crise sociale qui pourrait déboucher sur une crise encore plus profonde et plus grave !
Le climat insurrectionnel actuel ne sera pas uniquement surmonté par un couvre-feu ou un traitement sécuritaire, par ailleurs nécessaires, mais aussi par une autre façon de voir le pays, de concevoir les remèdes qui doivent lui être administrés et d’imaginer les solutions idoines pour essayer de sortir de cette période historique pleines de menaces et de périls…
L.L.
