La loi 2024-41, instaurant une réforme du système de chèques en Tunisie, fait couler beaucoup d’encre. Si l’objectif affiché est de renforcer la transparence et la traçabilité des transactions, cette nouvelle réglementation risque paradoxalement de faire ressurgir un fléau d’autrefois : celui des usuriers.
Ces prêteurs de dernier recours, souvent opérant dans l’ombre, prospéraient à une époque où les outils bancaires modernes étaient absents ou peu accessibles. Leur retour pourrait être la conséquence directe des restrictions imposées par cette loi.
Un retour vers des pratiques dépassées : l’ombre des usuriers
Dans la Tunisie pré-indépendance et jusqu’aux années 1970, les usuriers étaient une réalité incontournable pour les ménages et les petites entreprises. Incapables d’accéder au crédit formel, ces derniers se tournaient vers ces prêteurs informels, souvent à des taux d’intérêts exorbitants.
Ce système était source de tensions sociales et économiques, avec des drames personnels liés à l’endettement chronique. L’émergence d’un système bancaire moderne, couplé à une meilleure réglementation, avait progressivement éliminé ces pratiques. Cependant, la rigidité croissante des règles bancaires pourrait inverser cette tendance, rendant l’accès au crédit encore plus complexe pour les plus vulnérables.
Les usuriers, bien que souvent associés aux économies informelles des pays en développement, trouvent leurs racines dans l’histoire européenne. Au Moyen Âge, ces prêteurs occupaient une place controversée dans les sociétés où l’accès au crédit était réservé à une élite.
Des artistes comme Quentin Metsys, dans son tableau emblématique « Le Prêteur et sa femme » (1514), ont immortalisé les méfaits de ces pratiques. Ces œuvres dénonçaient la cupidité et les déséquilibres sociaux engendrés par ces prêts à taux usuraires. Ces représentations restent un rappel poignant des tensions économiques et morales entourant l’endettement.
Les dentistes : un secteur révélateur des obstacles posés par la loi
Le secteur médical, en particulier les dentistes, illustre bien les difficultés engendrées par cette réforme. Le Syndicat Tunisien des Médecins Dentistes de Libre Pratique (STMDLP), par la voix de son secrétaire général Adel Ben Smida, a exprimé de vives inquiétudes sur les ondes de Jawhara FM. Selon lui, l’introduction des chèques barrés et des plafonds de paiement complique considérablement les transactions quotidiennes, en particulier dans un domaine où les paiements échelonnés par chèques sont fréquents.
La situation est aggravée par l’absence de décrets d’application de la loi sur la responsabilité médicale, adoptée depuis juin 2024. Les dentistes redoutent un double frein : d’une part, l’augmentation des rejets de chèques pour insuffisance de fonds, et d’autre part, la lenteur des remboursements due à des tracasseries administratives. Ces obstacles pourraient pousser certains patients à rechercher des sources de financement parallèles, notamment les usuriers.
L’ajout d’un QR code pour garantir une meilleure traçabilité des transactions soulève également des interrogations. Si l’idée de renforcer la transparence est louable, elle se heurte à des questions de protection des données sensibles et de fluidité des paiements. Les dentistes, mais également d’autres professionnels, craignent que ce dispositif ne dissuade certains patients d’utiliser les chèques, accentuant ainsi les déséquilibres.