Des citoyens tunisiens partis à la recherche d’une vie meilleure ont perdu la leur au large de Lampedusa, le jeudi 6 septembre dernier. Quelques survivants ont été repêchés, on a retrouvé un ou deux cadavres « en état de mort » selon les termes du ministre des affaires étrangères tunisien, les recherches se poursuivent pour retrouver le reste des dépouilles.
Jusque là, tout cela a l’air d’un drame banal et normal, pour nous tunisiens habitués depuis quelques années à voir partir de nos côtes les embarcations de la mort, chargées de Harragas en mal de travail, de liberté, et de dignité. Seulement, voilà, cette fois-ci, le drame s’est accompagné d’un silence assourdissant de la part du gouvernement « révolutionnaire » et d’erreurs monumentales côté communication, d’autant plus que le nombre de morts et de disparus est très élevé. Alors que les autorités italiennes ont vite réagi au drame, le pouvoir en place en Tunisie a préféré le black out total et le déni de responsabilité.
Samedi soir, pendant que les sauveteurs repêchaient les cadavres, le chef du gouvernement et un nombre non négligeable de ministres étaient occupés à fêter le mariage d’une vingtaine de couples, affichant des mines réjouies comme si de rien n’était.
Vendredi soir, au journal télévisé de la chaîne nationale, on a préféré mettre à la une la manifestation pro-gouvernementale « Ekbess ».
Mais le pire est à venir: avec deux jours de retard, réagissant à la tragédie de centaines de familles endeuillées, le ministre des affaires étrangères déclare au journal de 20 heures que le problème de l’immigration clandestine n’était pas du ressort de son gouvernement et annonce d’un air détaché que deux dépouilles « en état de mort » ont été repêchées.
La présidence de la république, quant à elle, s’est murée dans le silence. Mr Marzouki était occupé à accorder une interview à un journal étranger, histoire de redorer son blason.
Face à ce silence de la part de ceux qui les gouvernent, les Tunisiens se sont indignés. Certains sont entrés en deuil, d’autres appellent à honorer la mémoire des disparus aujourd’hui sur l’avenue Habib Bourguiba, alors que beaucoup se posent des questions sur la valeur de la vie d’un Tunisien aux yeux de ses dirigeants.
Sous d’autres cieux, un drame pareil aurait pris d’autres dimensions: deuil national décrété, responsabilités établies, débat public, couverture médiatique, voire même démission de hauts responsables.
Nous pensions que dans la Tunisie post révolutionnaire, la dignité des Tunisiens primerait sur tout, que le citoyen serait au centre des préoccupations de ceux qui le gouvernent, que l’état assurerait la sécurité et la sauvegarde de ses ressortissants à l’étranger, que tous les moyens seraient mis place en cas d’accident pour porter secours aux victimes… Ce drame qui s’est joué à huis clos dans nos eaux territoriales a prouvé le contraire.
Mise à jour (10 septembre): quatre jours après le drame, le chef du gouvernement, Jebali, présente dans un communiqué (rendu public il y a quelques heures) ses sincères condoléances aux familles des disparus.