Le nom de Karim Mehdi est inconnu sur la scène médiatique. Le 14 août, il a été nommé par Mehdi Jomaa en tant que directeur général des associations et des partis politiques à la présidence du gouvernement.
Une semaine plus tôt, Slim Briki, son prédécesseur, a été limogé par le chef du gouvernement, au moment même où l’affaire du don de deux voitures blindées au chef du parti Nidaa Tounes, Béji Caid Essebsi, faisait polémique.
Les motifs du limogeage de Briki sont encore inconnus
Contacté par Le Courrier de l’Atlas, l’ancien directeur général des associations et des partis politiques Slim Briki, remplacé le 14 août par Karim Mehdi, affirme ne pas connaître les motifs exacts de son limogeage. « Je ne suis pas en mesure d’affirmer que mon départ est directement lié au dossier de la suspension des ONG, je pense qu’il s’agit d’une accumulation de diverses tensions. Je suis juge administratif et j’ai toujours traité avec une égale distance tous les partis et associations », a-t-il insisté.
Nommé à ce poste sensible, à deux mois des élections, M. Mehdi Karim devra faire respecter les décrets relatifs aux associations et aux partis politiques. Plusieurs décisions émanant des prérogatives de la présidence du gouvernement sont donc prises avec le nouveau directeur général Mehdi.
Karim Mehdi, un juge discret
Karim Mehdi a été juge à Tunis pendant 19 ans, sans qu’il soit muté, d’après des sources judiciaires. En 2010, il faisait partie de « la mafia des juges du bureau illégitime de l’Association des magistrats tunisiens », comme l’appellent certains juges.
D’après le juge Mokhtar Yahyaoui, de 2005 jusqu’à la révolution, « l’AMT est devenue l’appareil de soumission au dictateur Ben Ali . Le profil des juges qui y en faisaient partie étaient généralement des opportunistes. Ce sont les gens de Ben Ali […], ils étaient soumis aux instructions pour juger certains procès. Les autres juges insoumis étaient éloignés. »
Après le putsch, le règlement intérieur a été changé. Ceux qui dérangeaient le système étaient mutés loin du Grand Tunis, de Bizerte, de Nabeul, de Béjà et de Zaghouan. Et ceux qui sont portés candidats au bureau exécutif étaient actifs pour servir le régime et même pour faire de la propagande, alors que le rôle de l’AMT est de défendre l’indépendance de la magistrature, les magistrats et de ne pas se soumettre au pouvoir exécutif, chose que le bureau exécutif de 2010 n’a pas faite.
Ainsi, M. Mehdi appartenait à cet appareil, en 2010, non seulement comme un quelconque membre mais faisait partie du dernier bureau exécutif.
Karim Mehdi, recommandé par « le policier de la justice » Lotfi Daoues
Dans un document signé par Mohamed Salah Ben Hassine [ 1] , datant du 23 décembre 2010, le nom de Karim Mehdi aurait été proposé par le fameux Lotfi Daoues, surnommé par les juges le « grand policier de la justice », pour faire partie de l’AMT, à l’époque dominée par les juges soumis aux instructions du système Ben Ali.
Grâce à cette recommandation, Karim Mehdi a fini par faire partie du bureau exécutif de l’association, sujette aux instructions de l’exécutif depuis le putsch de 2005.
Pendant cinq ans, l’AMT était en effet à la botte de Ben Ali et ses acolytes. Le but du putsch était d’abord éliminer, en 2005, le bureau exécutif légitime mais surtout casser le travail associatif des juges militant pour l’indépendance de la justice du joug des instructions.
Ce putsch était organisé pour mettre à la place de bureau exécutif légitime d’autres juges aptes à exécuter les instructions.
Ce n’est qu’après la révolution, en 2011, que l’AMT, actuellement présidée par la juge Raoudha Karafi, a retrouvé son indépendance.
Le soutien de la dictature par le bureau exécutif de l’AMT en décembre 2010
Le 29 décembre 2010, ce même bureau exécutif putschiste de l’AMT a publié un communiqué s’attaquant aux avocats qui avaient fait la fameuse manifestation du 28 décembre devant le Palais de justice où ils criaient : « Justice réveille-toi, une coiffeuse te commande » (Ya kadhaa, fik fik, el hajama tohkem fik).
Le jour de cette manifestation, Chokri Belaïd a été même arrêté par la police. Car pour le régime de Ben Ali, manifester pacifiquement et s’opposer à la corruption de la justice était interdit.
Pour l’AMT putschiste, à laquelle appartenait Karim Mehdi, l’actuel directeur général des associations et des partis politiques, cette manifestation révolutionnaire « déformait la réalité ».
il a sorti un communiqué le 29 décembre pour défendre le régime.
(Voir document >)
Karim Mehdi nie avoir été recommandé par Lotfi Daoues
Nous avons contacté Karim Mehdi pour vérifier son appartenance au bureau exécutif de l’AMT en 2010. Au début, il nous a répondu « non », ensuite, il nous a dit « oui, j’ai été membre ». M. Mehdi nous a précisé : «Je n’ai pas entamé mes activités dans l’association (lam obacher fiha).»
Voulant connaître son avis au sujet de sa recommandation pour être candidat par Lotfi Daoues, M. Mehdi a nié cela assurant que ce n’est pas vrai, et qu’au mois de janvier 2011, il a déposé sa démission de l’AMT.
Il n’a pas non plus voulu donner son avis quant au bureau exécutif putschiste : « Je ne peux donner mon avis, vu mon poste actuel », a-t-il indiqué.
D’après le juge et militant Ahmed Rahmouni, dès le 15 janvier 2011, après la fuite de Ben Ali en Arabie Saoudite, plusieurs membres du bureau exécutif de l’AMT putschiste ont en effet déposé leurs démissions, comme M. Mehdi. Le 18 janvier, le bureau légitime a repris le local au Palais de Justice.
[1] Mohamed Salah Ben Hassine, procureur général conseiller auprès du ministère de la Justice et des droits de l’homme, a rédigé un rapport sur la tenue du 13ème congrès de l’Association des magistrats tunisiens.
Ce rapport était destiné au ministre de la Justice et des droits de l’homme Lazhar Bououni, pour le rassurer sur le déroulement du congrès » selon la planification et la démarche programmée », « Et que grâce à Dieu, il n’y a pas eu de surprise et que les résultats ont été à la hauteur des prévisions [du ministre] et ce qui plait à l’excellence du président Zine El Abidine Ben Ali président du conseil supérieur de la magistrature. »
Ce document a circulé sur Facebook suite à la révolution et a suscité une grande polémique dans le secteur judiciaire.
Par Lilia Weslaty