La relation entre Ennahdha et les salafistes est une relation ambigüe. Elle a connu des hauts et des bas depuis la révolution. Cet article retrace l’évolution de cette relation.
Ennahdha a besoin des salafistes
Depuis le 14 Janvier 2011, le parti Ennahdha était devant l’épreuve de la rue face à une opposition mobilisée et une société civile hostile aux valeurs véhiculées par ce parti conservateur. La composition des électeurs ne lui est pas favorable. En effet, le parti Ennahdha jouit de plus de popularité dans le sud loin des zones médiatisées et dans les quartiers populaires*. Ses opposants dominent relativement les centres de villes aisés.
Afin de palier à ce handicap, Ennahdha a joué la carte du soutien salafiste en donnant à toutes ses causes politiques une dimension religieuse et en mobilisant les gens dans les mosquées même. Malgré les différences idéologiques entre les salafistes soutenus par l’Arabie Saoudite et les frères musulmans, Ennahdha a réussi à obtenir le soutien des salafistes en amplifiant le danger que représenterait l’ascension de la gauche au pouvoir sur leur foi. Elle a utilisé également cet argument pour garder sa base mobilisée.
Ainsi, les plus grands rassemblements pro-Ennahdha ont été la manifestation de soutien à la Chariaâ et les mouvements de protestation lors des évènements du palais Abdellia et le film jugé blasphématoire. Dépourvu de sa base salafiste et dans un contexte purement politique, le mouvement peine à rassembler quelques milliers avec l’argent et les bus de l’état. En contrepartie de ce soutien, Ennahdha qui a les règnes du pouvoir, épargne les salafistes des poursuites malgré les abus et leur facilite l’accès à l’espace public.
4 Septembre, une date fatidique
Au mois de Juin, après des semaines de mobilisation, Ennahdha décide de renoncer à l’inscription de la Chariaâ dans la constitution causant ainsi une déception chez ses alliés. Quelques mois après, quatre salafistes sont tués par les forces de sécurité suite à une manifestation violente devant l’ambassade des Etats-Unis à Tunis le 4 Septembre 2012. Des centaines de personne sont arrêtées suite à cette attaque dont deux ont perdu la vie après une grève de la faim sauvage. Cet incident a causé une énorme fissure dans la relation entre les salafistes et Ennahdha. Le 27 Février, Ali Laarayedh ministre de l’Intérieur à cette époque a pointé de doigts les salafistes dans l’assassinat de Chokri Belaïd.
Après les lourdes pertes humaines tunisiennes en Syrie, les familles des djihadistes commencent à montrer des signes d’aversion à l’encontre d’Ennahdha qui affiche un soutien inconditionnel aux combattants en Syrie. Ils collent une partie de la responsabilité du départ de leurs enfants à la mort sur le dos du parti au pouvoir.
Ennahdha devant un choix difficile
Ennahdha est confrontée à un choix difficile. D’une part, elle a besoin de sa base salafiste militante et très active. Mais faute d’un vrai programme politique, elle est contrainte de maintenir un sentiment de peur chez une partie des Tunisiens pour leur religion menacée par la gauche et l’ancien régime. D’autre part, les agissements de ses alliés sont devenus très embarrassants devant l’opinion publique nationale et mondiale.
Les Américains qui ne cachaient pas leur soutien à Ennahdha qu’on leur a vendu comme étant une copie du modèle turc risquent de perdre patience. Ce qui se passe en ce moment à Djebel Chaambi et dans le nord et le centre ouest du pays en est un exemple. L’adoption d’une solution sécuritaire et le recours à la loi anti-terroriste mettrait Ennahdha dans la même case que le régime de Ben Ali.
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*Alia Gana, Gilles Van Hamme et Maher Ben Rebah, Géographie électorale et disparités socio-territoriales : les enseignements des élections pour l’assemblée constituante en Tunisie