Il y a des pays qui avancent. Il y a des pays qui trébuchent. Et puis il y a la Tunisie, qui semble avoir perdu la notice de montage de son propre développement. Routes éventrées, trains qui roulent à la vitesse d’un escargot fatigué, hôpitaux où il vaut mieux ne pas tomber malade.
Rouler en Tunisie, c’est une aventure, une épreuve, un sport extrême. Entre les nids-de-poule dignes d’un paysage lunaire et les échangeurs qui donnent l’impression d’avoir été dessinés par un artiste surréaliste, chaque trajet est une loterie. Va-t-on arriver entier ? Va-t-on retrouver son essieu au prochain virage ? Le suspense est insoutenable. Pendant ce temps, les embouteillages transforment chaque déplacement en séance de méditation forcée.
Prendre le train en Tunisie, c’est accepter l’idée que l’arrivée n’est qu’une option. Entre les locomotives qui datent d’une époque où Internet n’existait pas et des rails qui ressemblent à des pièces de musée rouillées, chaque voyage est une plongée dans le passé. Le pays veut relancer son industrie du phosphate, mais comment acheminer la production quand le réseau ferroviaire donne l’impression d’être géré par une bande de tortues asthmatiques ?
Et puis, il y a le digital. Ce bel espoir d’un futur connecté où la Tunisie rattraperait son retard en un clic. Sauf que le clic, il ne fonctionne pas toujours. Internet capricieux, administration qui prétend être numérique mais qui réclame encore des tampons encreurs, et des « plates-formes en ligne » qui semblent conçues pour tester notre patience… La fameuse transformation digitale ressemble plus à un concept marketing qu’à une réalité palpable. À l’heure où le monde entier parle d’intelligence artificielle et de fibre optique, nous, on en est encore à nous demander si notre formulaire en ligne va charger avant la fin de l’année.
Et puis nos villes sont devenues le reflet d’un abandon généralisé. Façades délabrées, trottoirs impraticables, poubelles qui débordent… On croirait que l’urbanisme s’est arrêté en pleine course pour aller prendre un café et n’est jamais revenu. Pendant que d’autres pays rénovent et modernisent leurs espaces publics, nos rues ressemblent de plus en plus à des scènes post-apocalyptiques. Le béton s’effrite, les espaces verts disparaissent, et le mobilier urbain semble avoir pris sa retraite avant nous.
La Tunisie ne manque pas de talents, d’idées, ni d’ambitions. Mais tant que l’infrastructure restera dans cet état, toutes les grandes promesses resteront lettre morte. Il est temps de prendre le chantier à bras-le-corps, d’arrêter les rafistolages et de penser enfin à long terme. Sinon, on continuera à regarder les autres avancer pendant que nous, on change encore une roue sur une route pleine de nids-de-dromadaires.