La journée d’hier a été marquée par deux faits divers à deux endroits différents, les traitements sécuritaire et médiatique qui les ont accompagnés nous prouvent encore une fois que désormais, un simple fait divers peut facilement basculer en un désordre, voire chaos,et avoir des conséquences néfastes.
À Ghar El Melh, paisible port de pêche de la région de Bizerte fréquenté par les baigneurs de la capitale pendant les week-ends, une affaire de Harragas tourne à la prise d’otages. Pour sauver leurs enfants qui ont d’eux-mêmes choisi de se jeter à la mer à la poursuite du rêve italien et pour fuir des conditions sociales probablement dégradantes, des familles ont bloqué la sortie du village, prenant ainsi les baigneurs en otage. Ce qui est encore plus grave, c’est que la police a laissé faire : les forces de l’ordre ne sont pas intervenues.
La nuit dernière, ce fut au tour de Hammamet de prendre le relais : le centre-ville a été bouclé, des pierres jonchaient le sol, des pneus étaient brûlés et des policiers en civil, armés de gourdins, étaient à la poursuite d’une bande de jeunes déchaînés !
La cause : deux versions différentes : celle fournie par radio Shems FM et dans laquelle il s’agirait d’un kiosque à jouets qui a été incendié, et la deuxième, recueillie par des témoins sur place et selon laquelle un jeune homme aurait tenté de s’immoler par le feu suite à l’arrestation de son frère pour détention de drogue.
Ce matin, la même radio a annoncé que l’état de santé du jeune qui s’est immolé était très grave et qu’il a été transporté à l’hôpital des grands brûlés à Tunis.
Quelles que soient les raisons, quelles que soient les causes, ces deux faits divers sont de véritables indicateurs de l’état de dégradation profonde que connaissent et la société et l’Etat.
Pour une grande partie des citoyens, le respect de lois est quasi absent, se faire justice soi même est monnaie courante, et la « révolution » est synonyme de chaos.
Le banditisme et la criminalité sont en hausse, alors que la notion d’état de droit, elle, est en chute libre.
Un délinquant arrêté, et voilà que tout son quartier vole à son secours et veut l’extraire à la police, une barque de harraga qui dérive, et des familles entières sont prises en otage… Et ce ne sont pas les exemples qui manquent, au point que l’amalgame entre revendications sociales légitimes et actions criminelles est facilement établi.
Mais pour se faire respecter, l’Etat, ‘détenteur’ de la violence légitime ne doit-il pas forcer le respect ?
Hier soir au centre-ville de Hammamet, les policiers en civil et leurs gourdins étaient beaucoup plus nombreux que ceux en tenue,ce qui prêtait à confusion, les passants ne savaient vraiment pas qui chassait qui.
À Ghar El Melh, l’exemple des forces de l’ordre qui refusent de porter secours à des otages est un très grave manquement au devoir. Et cette impression toujours présente d’ambivalence dans les interventions policières, musclées outre mesure avec les uns, conciliantes avec les autres, renforce le sentiment que l’avènement d’une police républicaine est une chimère.
Les scènes de guérilla qui ont eu lieu hier soir à Hammamet, fleuron du tourisme tunisien, ont suffi à effrayer les quelques touristes qui passaient et les estivants, et à l’heure où nous publions, les traces visibles de cette nuit chaude n’ont toujours pas été effacées, et cela ne semble pas déranger les responsables municipaux de la ville.
Des efforts vains sont faits pour nous convaincre que nous vivons dans un état de droit, mais les actes ne suivent pas les paroles, et nous avons l’impression que c’est plutôt le chaos qui s’installe. Espérons que tout cela soit…provisoire.