Au cœur de Carthage, dans les replis d’une colline, entre les champs de La Malga et la plage d’Amilcar, un mémorial américain de la Deuxième guerre mondiale témoigne de cette époque.
Le Mémorial se trouve à la rue Franklin Roosevelt, une artère paisible où le jogging et la marche sont des pratiques au quotidien. On y entre par une grande cour qui surplombe le cimetière où reposent 2833 soldats américains.
Un mur des disparus longe une allée d’une centaine de mètres. Les noms de 3724 soldats disparus au combat, sont inscrits sur ces tablettes. Les noms des unités, les grades militaires, les États d’où viennent les soldats et les corps d’armées auxquels ils appartiennent sont également inscrits. Parfois, de rares médaillons noirs sont apposés auprès d’un nom. Cela signifie que la dépouille a été retrouvée.
L’histoire de l’avion nommé « Lady Be Good » par son équipage est à ce titre exemplaire. Alors que cet avion devait se rendre en Sicile pour une mission, des vents contraires ou une panne quelconque, ont fait que l’aéronef se soit écrasé dans le désert libyen.
Plusieurs années plus tard, lors de fouilles pour identifier des champs pétrolifères, l’épave avait été retrouvée. Le commandant de bord avait tenu un journal jusqu’à son dernier soupir, dans lequel il racontait l’épreuve qui emporta tous les membres de l’équipage. Un film a même été consacré à cet épisode de la guerre.
Une statue d’une blancheur immaculée veille sur les lieux. Elle est baptisée « Honneur », tient une branche de laurier et rend hommage à ceux qui ont foulé le sentier de l’honneur. Les milliers de soldats cités ou inhumés ici ont participé à l’opération Torch initiée par les Alliés en novembre 1942.
Ils étaient impliqués dans des combats pour la libération de l’Afrique du nord, de l’emprise de l’Axe. Ces combats se sont étendus du Maroc à la Tunisie et à l’Europe du sud. Ce cimetière militaire est d’ailleurs unique dans le Maghreb et dans toute l’Afrique.
Il a été créé dès 1948 pour regrouper tous les cimetières temporaires en Afrique du nord et n’a été inauguré que le 21 juillet 1960 sur un terrain de dix hectares, contribution de la Tunisie. Comme 26 autres cimetières à travers le monde, ce Mémorial américain est géré par l’American Battle Monuments Commission.
Ce lieu de sépulture renvoie à la mémoire de la Campagne de Tunisie dont nous avons célébré le soixante-dixième anniversaire en mai. En effet, les forces de l’Axe ont capitulé en Tunisie à la date du 13 mai 1943.
Auparavant, la Huitième armée britannique avait repoussé l’Afrika Corps vers le sud-est de la Tunisie alors que la bataille du Col de Kasserine, entre le 20 et le 25 février, avait tourné à l’avantage des troupes américaines.
Les forces aériennes britanniques et l’infanterie américaine perceront alors les lignes allemandes tout en s’assurant la maîtrise du ciel. Repoussés dans une zone réduite au nord de la Tunisie, les troupes nazies finiront par capituler après la prise de Bizerte et de Tunis.
Plusieurs cimetières militaires britanniques et français témoignent de cette Campagne de Tunisie durant laquelle les Forces françaises libres avaient rejoint les Alliés. Un seul cimetière allemand à Borj Cedria et ce Mémorial américain complètent ces lieux de mémoire qui se trouvent aussi bien à Sfax, Takrouna, Gammarth, Tabarka ou Borj El Amri.
Marcher entre les tombes de ceux qui sont tombés sur le champ d’honneur. S’arrêter quelques instants au milieu de l’oasis que forment quatre fontaines et un grand bassin. Se recueillir devant le mémorial du soldat inconnu et à l’intérieur de la chapelle où sont hissés les pavillons des corps d’armées.
Suivre sur une immense carte-mosaïque, toutes les péripéties de l’opération Torch. Retrouver aussi les sépultures de plusieurs héros dont certains destins ont été si singuliers.
Quatre fratries sont enterrées ici. Peut-être que ces frères sont-ils tombés ensemble sur le champ d’honneur ? Les origines des soldats sont multiples comme en témoignent leurs noms. Entre les tombes, celle de Foy Draper qui a fait partie avec Jesse Owens, de l’équipe américaine, championne de la course de relais, aux Jeux olympiques de 1936.
D’autres tombes à perte de vue, chacune préservant le souvenir, une histoire et un destin qui s’est interrompu sur les champs de bataille maghrébins.
Un centre dédié aux visiteurs raconte aussi l’histoire par la photo et restitue plusieurs moments forts s’étant déroulés en ces lieux. On y voit Bourguiba et Eisenhower, Nixon et Bush père. On y voit l’hommage rendu à Kennedy après son assassinat en 1963.
Sur un autre mur, des images d’archives qui racontent les grandes batailles sur le sol tunisien, entre Kasserine, Gafsa, Mareth ou Sidi Bouzid. Et au milieu, comme immuable, une mosaïque de Neptune interpelle les regards.
Parfaitement préservée elle avait été offerte par Bourguiba à l’un des tout premiers ambassadeurs américains à Tunis. Ce dernier avait décidé de l’installer au Mémorial afin que chacun puisse la voir.
A sa manière, cette mosaïque établit un lien avec l’Antiquité et d’autres fracas des armes. Dans les dizaines de strates de l’histoire de Carthage, le Mémorial américain témoigne quant à lui d’une histoire plus proche et d’une relation étroite entre deux peuples liés par un traité d’amitié dont le socle remonte au dix-huitième siècle.