« هل تنوي التقديم على تأشيرة دراسية أو تبادل ثقافي ؟ تأكد أن حساباتك على وسائل التواصل الاجتماعي مضبوطة على أنها « عامة » ».
Ce message publié par l’ambassade des États-Unis à Tunis début juillet a soulevé une vague de malaise chez de nombreux jeunes Tunisiens. Derrière la formulation anodine — « cela facilitera le traitement de votre dossier » — se cache en réalité un basculement : pour postuler à un visa étudiant ou de programme d’échange (F, M ou J), il faut désormais rendre publics ses comptes sociaux personnels. Une pratique présentée comme facultative, mais fortement incitative, voire contraignante.
Depuis 2019, les candidats aux visas étudiants doivent déjà fournir les identifiants de leurs comptes sur les réseaux sociaux. Mais depuis juin 2025, cette exigence a été renforcée : l’ambassade américaine invite désormais à rendre ces comptes publics, ce qui marque un tournant majeur dans la surveillance numérique des candidats.
Ce durcissement ne cible pas uniquement les Tunisiens. Depuis juin 2025, le Département d’État américain a demandé à toutes ses ambassades d’intensifier le « screening numérique » des candidats aux visas académiques. Cette nouvelle orientation fait suite à des tensions croissantes sur les campus américains, notamment les mobilisations étudiantes pro-palestiniennes ayant mis l’administration Trump sous pression.
D’après The Washington Post (9 juillet 2025), de nombreux candidats à un visa étudiant « ont commencé à purger leur présence en ligne : ils se désabonnent de personnalités politiques, suppriment des publications, et désactivent les comptes de peur qu’un like soit mal interprété ».
Un étudiant explique être allé jusqu’à « unfollow AOC, Kamala, Biden, Obama… » pour éviter tout soupçon.
Une mesure mondiale, mais un choc particulier en Tunisie
Si cette mesure a provoqué des critiques dans plusieurs pays, la réaction en Tunisie prend une tournure particulière, empreinte d’amertume. Voici un échantillon des plus de 300 commentaires laissés sous la publication de l’ambassade : un internaute tunisien, Ahmed Che, résume le malaise ambiant avec une ironie cinglante :
« عيني عينك الشي هههه… هات ندخلو نشوفو أفكارك و توجهاتك و جوك و دنيتك الي تشارك فيها مع أصحابك و عايلتك… نحبو نشوفو كل شي. بكشي يطلع عندك رأي مخالف لتوجهاتنا السياسية هكاكة تمضمض. »
(« Carrément à la vue de tous ! Allez, qu’on entre voir tes idées, tes opinions, ton monde privé partagé avec tes amis et ta famille… On veut tout voir. Peut-être que tu as un avis contraire à notre politique ? Et hop, tu dégages. »)
L’ombre des manifs pro-Gaza sur les visas
Si cette politique s’est imposée au nom de la sécurité, elle s’inscrit aussi dans un contexte très politique. Après les occupations de campus au printemps 2024 contre la guerre à Gaza, des dizaines d’étudiants internationaux ont vu leurs visas révoqués ou refusés. L’affaire de Harvard — où des sponsors ont exigé des sanctions contre des étudiants signataires de pétitions — a eu un effet domino. Désormais, tout soutien en ligne jugé « extrémiste » ou « anti-américain » peut faire l’objet d’un signalement.
Des plateformes comme X (ex-Twitter), TikTok ou Reddit sont régulièrement scrutées. Les services consulaires utilisent désormais des outils d’intelligence artificielle pour repérer, classifier et attribuer un score de risque numérique aux candidats. Le danger : un post mal interprété, un like ambigu, ou un pseudonyme engagé peuvent coûter un avenir académique.
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ONG de défense des libertés numériques : préoccupations concernant la surveillance
Plusieurs organisations de défense des libertés numériques expriment des préoccupations concernant les nouvelles règles de filtrage des médias sociaux pour les candidats aux visas étudiants :
- Common Dreams rapporte que des ONG de défense des libertés numériques dénoncent la logique de surveillance préventive instaurée par ces nouvelles règles, estimant qu’elles portent atteinte à la liberté d’expression et à la vie privée des étudiants internationaux.
- Reuters indique que des défenseurs des droits humains s’inquiètent de la manière dont les nouvelles règles de filtrage des médias sociaux pourraient être utilisées pour cibler les étudiants en fonction de leurs opinions politiques, notamment en ce qui concerne les mouvements pro-palestiniens.