Les élections de l’Assemblée Constituante ont donné les résultats que vous connaissez avec en première position les listes des Islamistes d’«Ennahdha » qui ont raflé plus de 40% des sièges, suivies de loin des listes du Congrès Pour la République, d’Ettakatol puis des autres. Les analyses qui ont essayé de comprendre le pourquoi de ce vote des Tunisiens ont tenté de décortiquer les intentions de nos citoyens et les raisons qui les ont menées à faire ce choix.
Indépendamment des multiples dépassements, irrégularités ou pression morale subis par plusieurs centaines pour ne pas dire des milliers d’électeurs, qui selon plusieurs observateurs n’ont pas eu d’impact sur les résultats (selon quels critères !), il convient de relativiser ces résultats et de les remettre dans leur contexte.
En premier lieu, il s’agit d’un vote sanction qui a récompensé tout d’abord les victimes de la répression du régime déchu et qui entend consacrer une véritable rupture avec le passé douloureux vécu par le peuple tunisien. Si Ennahdha, le CPR ou Ettakatol ont figuré aux trois premières places du classement, ils le doivent surtout à leurs discours clairs de vouloir rompre définitivement avec les anciens symboles du régime. En revanche, les autres partis ont, en quelque sorte, payé le tribut de leur participation aux deux gouvernements de Mohamed Ghannouchi et à une campagne électorale soit précoce (le cas du PDP, parti trop tôt au front électoral), soit limitée dans l’espace et pratiquement confinée dans les grands centres urbains.
En second lieu, il convient de dire aussi que le discours d’Ennahdha, populiste et fondé essentiellement sur l’Islam était particulièrement porteur sachant que dans l’imaginaire populaire, être imbu des valeurs musulmanes équivaut automatiquement à la probité, l’honnêteté et le volontarisme. Plusieurs citoyens ont donc voté Ennahdha comme si les Islamistes pouvaient conduire les affaires du pays de façon honnête rompant là aussi avec la prédation qui avait sévi auparavant. La sincérité démontrée des parcours du CPR et d’Ettakatol leur a aussi beaucoup servi lors de ces élections.
En troisième lieu, il convient de relever la naïveté avec laquelle les autres partis ont traité l’opération électorale. Au contraire des Islamistes omniprésents dans et devant tous les bureaux de vote de la République avec deux équipes qui s’étaient relayées pendant toute la journée du 23 octobre, les autres partis dits modernistes ont été quasi-absents ou si peu présents pour s’opposer à quoi que ce soit ou pour influencer le choix des électeurs. Les élections de l’Assemblée Constituante devraient leur servir de leçon pour les échéances futures et en tirer les conclusions nécessaires pour remédier à leurs diverses carences.
Il convient, enfin, de relativiser ce scrutin pour dire que la moitié des citoyens tunisiens ne sont pas allés aux urnes. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. En effet, le nombre des électeurs potentiels dénombré atteint 7.569.824 de citoyens alors que le nombre des votants n’a atteint que 3.702.627, moins que le nombre des citoyens qui s’est inscrit de manière volontaire et qui avait atteint 4.123.602.
Il est évident que le taux de participation réelle, en comparaison avec ce qui se produisait auparavant et même par rapport aux chiffres enregistrés dans les régimes démocratiques, est intéressant, mais il est aussi certain que la défection de tous ces citoyens qui ont préféré s’abstenir doit amener à réfléchir. Les questions qui se posent sont les suivantes : à qui profite cette défection ? À qui seraient allées ces voix ? Personne ne le saura jamais !
Maintenant, il s’agit de savoir comment allons-nous être gouvernés pendant la période la Constituante ?
La première constatation est relative à Ennahdha qui s’est attribué le rôle du principal acteur politique avançant son chef du gouvernement ou ses préférences pour telle ou telle personnalité politique pour occuper les diverses autres fonctions politiques ou gouvernementales. Il faut dire que les Islamistes essaient de former un cabinet d’union nationale, a priori estimé comme le choix le plus judicieux dans ce contexte. Tant mieux si tous les courants politiques trouvent une entente pour gouverner ensemble, et cela, dans l’intérêt général du pays. Il semble qu’Ennahdha, allié avec le CPR, a trouvé un accord avec Ettakatol. Ce triumvirat pourrait suffire actuellement, mais cette alliance gouvernementale n’est pas assurée au sein du travail gouvernemental.
Si ce travail au niveau du gouvernement pouvait s’accommoder avec des alliances sûres et stables, celles-ci risqueraient de devenir volatiles au sein de la Constituante dans la mesure où les options de ces formations politiques paraissent parfois aux antipodes l’une de l’autre sur plusieurs questions cruciales concernant notamment le projet sociétal ou la nature du régime politique futur. Là aussi et à défaut d’accord clair, seul le consensus devrait régner.
L’idéal serait que la future Constitution de la République tunisienne soit le fruit de ce consensus afin que toutes les formations politiques, qu’elles soient aujourd’hui au pouvoir ou dans l’opposition, puissent s’y reconnaître et l’adopter comme la Loi Suprême de la République.