Invité par l’Institut Cervantès, le duo espagnol de musique médiévale a illuminé l’église de la Goulette lors du récital de clôture de l’Octobre musical de Carthage.
Ils étaient deux, avec leurs instruments rares et précieux et leurs voix qui racontaient, chantaient et faisaient revivre la mythique Andalousie, topos et âge d’or du vivre-ensemble.
Né à Séville et née à Cordoue, Emilio Villalba et Sara Marina portent en eux, une étincelle d’Andalousie et un formidable répertoire dont chaque note interpellait le très nombreux public rassemblé hier soir, en l’église Saint Augustin et Saint Fidèle à la Goulette.
La clôture de l’édition 2023 de l’Octobre musical de Carthage avait en ces jours éprouvants, trouvé le tempo juste et serein, le récital idéal qui, à la fois suscitait l’adhésion de la nombreuse assistance et offrait de superbes alliages musicaux et poétiques.
Car Emilio Villalba et Sara Marina sont porteurs d’un projet, forts de la conservation et la transmission d’un patrimoine séculaire. « Al Andalus » est leur manière unique d’explorer un héritage dont l’épicentre est l’Espagne et qui est désormais commun à plusieurs peuples et pays de la Méditerranée.
Au fond, le récital « Al Andalus » ressemble par plusieurs aspects à la tradition tunisienne du malouf et du mouwachah tels qu’ils sont conservés par la Rachidia et restitués chaque été, par le festival de Testour. Ce legs andalou est bien vivant et le public d’Emilio Villalba et Sara Marina ne s’y est pas trompé puisque de puissantes réminiscences jaillissaient de chaque note, chaque sonorité, chaque mot.
L’émotion – bien palpable – fut à son comble lorsque les artistes espagnols entamèrent la récitation de poèmes extraits du « Collier de la colombe » d’Ibn Hazm. En quelques mots choisis, Emilio Villalba avait auparavant expliqué comment le poète qui était alors en prison, parvint à partir de sa geôle, à écrire l’un des plus beaux textes sur l’Amour.
Ensuite, la voix pure et cristalline de Sara Marina s’éleva jusqu’à l’abside, dans un chant intemporel et profondément inspiré.
Ce fut littéralement un moment de grâce. À l’image de tout le récital qui permit au-delà du luth, de découvrir plusieurs instruments d’époque que le doigté d’Emilio Villalba faisait vibrer et renaître. La viole, la citole et surtout le rabeb que nous connaissons bien, ont restitué les noubas et le zajel d’antan.
En même temps, les percussions de Sara Marina gardaient le tempo et, au son feutré du bendir et de la darbouka, ponctuaient le récit musical d’Al Andalus.
Évidemment, il y eut un rappel et une ovation debout, tant les deux musiciens avaient enchanté le public par le jeu de correspondances qu’ils avaient instauré entre Espagne et Maghreb par le truchement andalou.
Un concert à vrai dire mémorable, de ceux qui lancent des ponts entre les peuples, alors qu’ailleurs, des murs continuent à s’ériger sur fond de bruits de bottes et de clameurs guerrières. Cette Andalousie n’est-elle pas, par son exemplarité, une matrice pour toutes les paix ?
Subrepticement et en filigrane du répertoire interprété par le duo Emilio Villalba et Sara Marina, le message de paix et de fraternité était clairement perceptible. Et, en bonne intelligence, tout en savourant chaque envolée, le public a pleinement communié avec les artistes et leur auréole sertie de musique.
L’église de la Goulette en était transcendée, confirmant le choix judicieux de l’Octobre musical de Carthage qui, en partenariat avec l’Archevêché de Tunis, se déploie désormais dans des églises consacrées.
Bien sûr, la nostalgie de l’Acropolium était bien là, dans les cœurs et peut-être même incrustée dans les chants du grand Ibn Hazm, Andalou universel et démiurge poétique d’un récital exceptionnel.