Le feuilleton tunisien « Fallujah » écrit et réalisé par Sawsan El Jomni, avec un casting composé d’acteurs tels que Mohamed Ali Ben Jemaa, Naïma El Jeni, Rim Riahi, Sarra El Tounsi, Mohamed Mrad, Nidhal Al Saadi, Chekrah Rammah, Sadok Halwes, Mohamed Dahech, Houssem Sahli et un groupe de jeunes acteurs amateurs est devenu rapidement le sujet de toutes les discussions pendant ce ramadan, dès la diffusion de son premier épisode, suscitant des critiques, des appels à la censure et même une plainte auprès du tribunal. Mais cette polémique a au final bénéficié au feuilleton qui a attisé toutes les curiosités, aussi bien en Tunisie qu’à l’étranger.
Pour ma part, je n’avais pas l’intention de le regarder car depuis 2/3 ans, j’ai décidé de boycotter les feuilletons tunisiens qui parlent de drogués et de délinquants, espérant voir un jour des feuilletons tunisiens un peu plus gais et positifs. Cependant, suite à la polémique, je me suis laissée tenter par le premier épisode et je ne l’ai pas du tout regretté. À ma grande surprise, j’ai constaté que contrairement à ce qu’on lui avait reproché, Fallujah était un bon feuilleton à montrer aux parents et aux jeunes, parce qu’il met en garde contre les mauvais comportements, comme la délinquance et la consommation de drogues, et braque les projecteurs sur certaines erreurs que les parents ne devraient pas commettre dans l’éducation de leurs enfants.
Le feuilleton suit un groupe d’élèves d’un même lycée ainsi que leurs parents, en dépeignant les différentes histoires de chaque élève et de leur famille. On les observe dans leur environnement scolaire et familial, nous permettant ainsi de comprendre leur personnalité. Le feuilleton met également en évidence les erreurs parentales en montrant les différentes manières d’éduquer les enfants, soulignant les défauts dans l’éducation ainsi que les travers qui peuvent en découler. Le personnage de Nouh et son père policier, qui le maltraite, illustrent les conséquences néfastes des comportements parentaux abusifs. Le papa de Nouh, reproduisant un comportement similaire à celui qu’il a avec des criminels, pense que la fermeté, même violente, fera de son fils un homme mature. Hédi, quant à lui, a un père aimant mais très permissif, qui lui accorde tout ce qu’il veut, faisant de lui un adolescent irresponsable. Maram, dont le père est absent, est contrainte de prendre la responsabilité de la gestion de la maison, alors qu’elle n’a pas encore l’âge pour cela. En plus, elle se sent négligée, sans aucune attention de la part de son père. Enfin, Rahma semble équilibrée et responsable, mais les convictions assez conservatrices de ses parents l’empêchent de leur révéler qu’elle a été violée. Elle craint la réaction de ses parents, qui l’ont d’ailleurs mal jugée lorsqu’elle a été retrouvée après des mois de disparition. Pensant qu’elle était partie avec un homme, ils ont ignoré sa détresse et ont cherché à la marier rapidement pour sauver l’honneur familial. Le personnage de Kader, dealer de drogue, voyou et délinquant, est un exemple de la façon dont les enfants peuvent mal tourner lorsqu’ils sont négligés ou abandonnés. N’ayant pas de famille, il a dû se débrouiller tout seul et a pris le mauvais chemin, loin de toute éducation et de toute guidance parentale.
Fallujah met également en lumière les difficultés rencontrées par les élèves et le personnel enseignant dans les écoles publiques en Tunisie. On y voit, comme la nouvelle professeure de mathématiques, des enseignants passionnés par leur travail, dévoués à leurs élèves et à leur réussite, malgré des conditions de travail difficiles et un salaire peu élevé. D’autres, en revanche, sont désabusés et ne voient dans leur poste qu’un moyen de gagner de l’argent facilement, voire de se livrer à des activités illégales telles que la vente d’examens ou la corruption comme le surveillant général incarné par Sadok Halwes.
Les premiers épisodes ont présenté les personnages en mettant en avant leurs mauvaises conduites. Cependant, petit à petit, le feuilleton a essayé de mettre en garde les téléspectateurs en montrant les mauvais chemins que pourraient prendre les jeunes et les conséquences que cela pourrait avoir. La mort de Maram suite à une overdose a été un moment clé qui a permis de transmettre un message fort aux jeunes et aux parents. Il est important d’écouter les enfants, de communiquer avec eux, de les responsabiliser et de répondre à leurs besoins. Les scènes où la professeure transmet des conseils aux camarades de la jeune adolescente et où l’acteur Houssem Sahli joue le rôle d’un père repenti pour avoir été absent moralement de sa fille sont autant de messages que le feuilleton essaie de transmettre.
Le feuilleton Fallujah offre un regard critique et poignant sur l’éducation en Tunisie, mettant en avant les obstacles auxquels sont confrontés les élèves et les enseignants, mais aussi la détermination de certains d’entre eux à s’en sortir malgré tout.
Dans l’ensemble, les acteurs ont livré de bonnes performances, tout particulièrement Mohamed Ali Ben Jemaa, Naïma El Jeni et Rim Riahi. La plupart d’entre eux ont réussi à incarner leurs personnages de manière convaincante, même les jeunes acteurs qui ont fait leurs premiers pas dans le métier. Leur talent et leur potentiel sont prometteurs, et nous pouvons leur souhaiter une carrière brillante et florissante dans le monde du cinéma et de la télévision.
Fallujah est un feuilleton qui mérite d’être visionné, surtout par les jeunes qui pourraient s’identifier à certains personnages. Il offre une réflexion intéressante sur l’éducation et les choix de vie, ainsi que sur les conséquences de ces choix. De plus, il met en garde contre les dangers de la drogue et de la délinquance. La polémique suscitée en début de diffusion a eu un avantage majeur : elle a suscité un débat sur les thèmes abordés dans la série. Ce qui est très important car cela pousse les téléspectateurs à s’interroger.
La fin du feuilleton est bien construite et montre aux jeunes et aux parents que leurs actions peuvent avoir des conséquences dramatiques, soulignant ainsi l’importance de l’écoute et de la communication entre les générations. En plus, pour une fois depuis plusieurs années, un feuilleton tunisien sanctionne les mauvaises actions, les voyous n’étant pas des héros, bien au contraire.
Le générique du feuilleton rend hommage à Habib Bourguiba, l’ancien président tunisien, qui disait : « Je suis optimiste. Quand on parle de la Tunisie d’après Bourguiba, je me dis ‘je crois que j’ai fait quelque chose de solide, qui tiendra après moi' ». Ce message peut être interprété comme une note d’espoir, comme un appel à prendre les choses en main et à agir rapidement pour réformer l’enseignement et s’occuper des jeunes. Pour Bourguiba, juste après l’indépendance, cela avait été une priorité. Il croyait, à juste titre, que l’avenir d’un pays repose sur des jeunes bien éduqués et équilibrés.
Dans l’ensemble, Fallujah est un feuilleton captivant qui mérite d’être regardé. Cependant, quelques améliorations pourraient être apportées, surtout dans l’écriture du scénario. Par exemple, l’idée de demander à Brahim d’épouser Rahma pour éviter les poursuites pénales est juridiquement impossible en vertu de la Loi organique n° 2017-58 du 11 août 2017, qui vise à éliminer la violence à l’égard des femmes. De plus, le feuilleton présente toutes les mères comme soumises aux pères, sans aucune figure forte parmi elles. Cette représentation est regrettable car elle ne reflète pas la réalité de toutes les femmes tunisiennes. Malgré ces lacunes, Falluja reste néanmoins intéressant et pourrait même être distribué sur des plateformes populaires telles que Shahid ou même Netflix d’ailleurs !
Neïla Driss