C’est un rituel aussi attendu que solennel dans le monde du cinéma. Ce matin, dans l’effervescence printanière propre à cette période de l’année, s’est tenue l’une des conférences de presse les plus emblématiques de l’agenda cinématographique international : l’annonce de la sélection officielle du Festival de Cannes. Dans une salle comble, devant un parterre dense de journalistes, de professionnels et de passionnés, les organisateurs ont levé le voile sur les films qui marqueront la 78ᵉ édition, prévue du 13 au 24 mai 2025. Un moment toujours chargé de promesses, de possibles bouleversements, de débats à venir, et, surtout, de cinéma dans toute sa diversité et sa puissance.
Depuis 2023, la présidence du festival est assurée par Iris Knobloch, première femme à occuper cette fonction, tandis que Thierry Frémaux, fidèle capitaine artistique depuis 2007, poursuit avec ténacité et cohérence le travail de construction d’une sélection toujours scrutée, toujours discutée. Tous deux étaient présents ce matin pour dévoiler les grandes lignes de cette édition, avec ce mélange d’émotion maîtrisée, d’élégance dans le propos, et de clarté dans les engagements qui caractérise désormais leur tandem.
Un hommage à la mission fondatrice du Festival
C’est Iris Knobloch qui a ouvert la séance, dans un discours où se mêlaient émotion, engagement, lucidité politique et fierté assumée.
« Bonjour à toutes et à tous, good morning to Everyone. Je suis très heureuse de vous retrouver en ce moment où l’attente cède enfin la place à la découverte. Le compte à rebours est lancé. »
Puis, dans un propos dense, elle est revenue sur l’ADN du festival, né en 1939 d’une volonté politique autant qu’artistique : offrir un espace de liberté aux cinéastes du monde entier, une terre d’accueil – parfois au sens littéral – pour leurs œuvres, leurs récits, leurs voix.
« À une époque où la tentation du repli sur soi n’a jamais été aussi grande, ce message d’ouverture et d’espoir est fondamental. […] Réunir toutes les lumières du cinéma pour éclairer ce que nous avons en commun, c’est la promesse du Festival de Cannes depuis sa création. »
Elle a également rappelé, avec gravité, que le festival prenait très au sérieux les recommandations issues de la commission d’enquête sur les violences dans les secteurs culturels, signe d’une institution en dialogue avec son temps, attentive à ses responsabilités.
Une fréquentation en hausse et une influence prolongée
Avant de céder la parole à Thierry Frémaux, Iris Knobloch a dressé un bilan chiffré impressionnant de l’édition 2024 : plus de 39 000 professionnels présents, dont près de 4 200 journalistes, et une hausse significative de la fréquentation des salles (10 % d’augmentation des entrées). Une cinquantaine de pays étaient représentés, du Maghreb à l’Amérique latine, de l’Asie du Sud aux confins de l’Afrique. Le Marché du Film, qui reste le plus important du monde, a accueilli plus de 15 000 professionnels issus de 140 pays, confirmant le rôle structurant de Cannes dans l’écosystème mondial du cinéma.
Et les résultats se sont prolongés bien au-delà du mois de mai : de Anora (Palme d’Or en 2024) à Emilia Perez, de Flow à The Substance, plusieurs films sélectionnés l’an dernier ont brillé à travers le monde, raflant Césars, BAFTA, Golden Globes ou Oscars.
« As we say at the Cannes Film Festival, we fly them to the Moon and then back to Earth, pour qu’ils illuminent les salles obscures du monde entier. »
En France, ce sont plus de 25 millions de spectateurs qui ont vu en salle les films issus de la sélection officielle, témoignant d’un lien solide entre le festival et le grand public.
70 ans de Palme d’or, et une nouvelle génération de femmes cinéastes
Iris Knobloch a rappelé que Cannes est un lieu de révélations et de consécrations. Orson Welles, Jane Campion, Quentin Tarantino, Bong Joon-ho… tous sont passés par la Croisette. Cette année, la Palme d’or fête ses 70 ans, un anniversaire célébré comme il se doit.
Elle a également souligné la place croissante des femmes dans la programmation et dans les fonctions de pouvoir :
« Elles ne demandent plus leur place. Elles la prennent. »
La preuve : après Greta Gerwig en 2024, c’est Juliette Binoche qui présidera le jury cette année – une première depuis 60 ans que deux femmes se succèdent à ce poste. Iris Knobloch a salué son parcours international, son audace, sa capacité à se réinventer.
Enfin, Iris Knobloch a exprimé sa gratitude envers toutes les équipes, partenaires et collectivités, sans oublier, avec un clin d’œil aux récents incendies à Los Angeles, la résilience de l’industrie américaine.
Puis, dans un passage très personnel, elle s’est adressée à Thierry Frémaux :
« Voilà cher Thierry, trois ans déjà que notre tandem continue d’avancer au service de ce magnifique festival. Affrontons-le côte à côte, savourons les descentes et découvrons les panoramas à couper le souffle. »
Thierry Frémaux révèle la sélection officielle
Thierry Frémaux a annoncé la sélection officielle, tout en précisant qu’elle sera complétée dans les jours prochains. Il a précisé que cette année, la commission a visionné 2909 longs métrages, ce qui est un record. Il y a 10 ans, la commission visionnait entre 1000 à 1500 films au maximum. 68% de ces films sont réalisés par des hommes et 32% par des femmes. 1127 sont des premiers films. Ces films représentent 156 pays.
Quatre films arabes en sélection officielle : une reconnaissance forte
Avant même d’aborder les grandes lignes de la compétition officielle, il convient de souligner ce qui constitue une excellente nouvelle pour la Tunisie, et plus largement pour le cinéma arabe : trois films arabes sont sélectionnés dans la section Un Certain Regard, dont un film tunisien, et un film sélectionné en compétition officielle.
– Erige Sehiri : un retour attendu, une voix confirmée
La réalisatrice tunisienne Erige Sehiri fait son entrée dans la sélection officielle avec son nouveau film Promis le ciel, présenté dans la section Un Certain Regard. Trois ans après Sous les figues, qui avait marqué la Quinzaine des Réalisateurs par sa finesse, sa pudeur, et sa force tranquille, la cinéaste franchit une nouvelle étape.
– Morad Mostafa : Un regard qui s’affirme
Autre présence forte : le réalisateur égyptien Morad Mostafa, qui présente Aisha Can’t Fly Away, son premier long-métrage. Le film suit Aisha, une jeune migrante africaine enfermée dans un centre de rétention en Égypte. On y retrouve la sobriété formelle, la tension contenue et l’humanité qui caractérisaient déjà ses courts-métrages. En 2023, son court I Promise You Paradise avait été sélectionné à la Semaine de la Critique. Cette année, le passage au long confirme que son regard est désormais incontournable. La coproduction tunisienne, assurée par Dorra Bouchoucha et Lina Ben Chaabane (Nomadis Images), donne à ce film une dimension régionale forte et une portée méditerranéenne assumée.
– Arab et Tarzan Nasser : mémoire vive de Gaza
Enfin, les frères Arab et Tarzan Nasser signent un nouveau film: Once Upon a Time in Gaza. Toujours enracinés dans leur ville natale, ils poursuivent une œuvre profondément liée à la mémoire, à l’amour, à la survie. Le titre lui-même, entre légende et tragédie, annonce un récit dense, où l’intime et le politique se confondent. Dans un contexte où Gaza reste au centre de l’actualité, leur cinéma apparaît plus que jamais nécessaire. Une voix rare, lucide, sans fard.
– Tarik Saleh et la fiction politique
Autre présence arabe dans la compétition officielle : Tarik Saleh, cinéaste suédo-égyptien, revient à Cannes avec Les Aigles de la République. Trois ans après avoir remporté le Prix du Scénario pour Boy from Heaven, Saleh s’inscrit dans la durée avec un cinéma engagé, tendu, souvent centré sur les dynamiques de pouvoir au sein des sociétés arabes. S’il est né en Suède, le cinéaste puise dans ses racines égyptiennes pour construire des récits puissamment politiques, dénonçant à la fois les hypocrisies institutionnelles et les luttes de pouvoir. Le titre de ce nouveau film, Les Aigles de la République, annonce une œuvre à forte teneur symbolique, probablement ancrée dans une réalité contemporaine où les notions de patriotisme et de vérité sont soumises à rude épreuve. Cannes confirme ainsi son attrait pour les récits critiques venant du monde arabe, sans céder aux approches folkloriques.
Un Certain Regard : laboratoire des voix neuves
Aux côtés de ces films arabes, la section Un Certain Regard regorge cette année de premiers longs-métrages issus du monde entier. Du Royaume-Uni à l’Amérique latine, en passant par l’Asie, on note une grande diversité de formes et de styles. Parmi les premières œuvres, on retiendra notamment La misteriosa mirada del flamenco du Chilien Diego Céspedes, MY FATHER’S SHADOW d’Akinola Davies Jr, KARAVAN de Zuzana Kirchnerová et même ELEANOR THE GREAT le premier film en tant que réalistraice de l’actrice américaine Scarlett Johansson. Tous ces jeunes cinéastes signent ici leurs débuts, souvent très attendus après des courts remarqués en festivals.
La compétition officielle : un mélange de fidélités et de premières fois
La compétition officielle 2025 s’annonce très dense, entre grands retours et nouvelles présences. On y retrouve les frères Dardenne avec Jeunes Mères, Wes Anderson avec The Phoenician Scheme, l’iranien Jafar Panahi avec Un Simple Accident, Julia Ducournau (Palme d’Or 2021 avec son film Titane) qui revient avec Alpha ou encore Kelly Reichardt avec The Mastermind. Tous sont déjà familiers de la Croisette, certains ayant même reçu les plus hautes distinctions. On remarque aussi l’arrivée d’auteurs comme Ari Aster, qui fait son entrée en compétition avec Eddington, ou encore Dominik Moll, cinéaste français à la filmographie pourtant déjà solide, avec Dossier 137. La sélection semble tendre un pont entre fidélité au festival et ouverture à d’autres formes de cinéma.
Une sélection qui interroge les tensions du monde
Qu’il s’agisse de Deux procureurs de Sergei Loznitsa, Dossier 137 de Dominik Moll, ou Sirat d’Oliver Laxe, de nombreux films semblent s’inscrire dans une approche critique des institutions, des structures de pouvoir et des récits nationaux. Le politique affleure souvent, qu’il soit frontal comme chez Tarik Saleh, ou plus poétique comme chez Carla Simón (Romería). À travers ces propositions, le Festival de Cannes 2025 se positionne comme un lieu de réflexion sur les fractures contemporaines, tout en restant attentif à la forme, à l’esthétique, au geste cinématographique.
Sélection officielle du 78ème festival de Cannes (qui sera complétée prochainement) :
Film d’ouverture
PARTIR UN JOUR Amélie Bonnin – 1er film – Hors Compétition
Compétition
THE PHOENICIAN SCHEME Wes Anderson
EDDINGTON Ari Aster
JEUNES MÈRES Jean-Pierre et Luc Dardenne
ALPHA Julia Ducournau
RENOIR Hayakawa Chie
THE HISTORY OF SOUND Oliver Hermanus
LA PETITE DERNIÈRE Hafsia Herzi
SIRAT Oliver Laxe
NOUVELLE VAGUE Richard Linklater
DEUX PROCUREURS Sergei Loznitsa
FUORI Mario Martone
O SECRETO AGENTE (L’AGENT SECRET) Kleber Mendonça Filho
DOSSIER 137 Dominik Moll
UN SIMPLE ACCIDENT Jafar Panahi
THE MASTERMIND Kelly Reichardt
LES AIGLES DE LA RÉPUBLIQUE Tarik Saleh
SOUND OF FALLING Mascha Schilinski
ROMERÍA Carla Simón
SENTIMENTAL VALUE Joachim Trier
Un Certain Regard
LA MISTERIOSA MIRADA DEL FLAMENCO (THE MYSTERIOUS GAZE OF THE FLAMINGO) Diego Céspedes (1er film)
MÉTÉORS Hubert Charuel
MY FATHER’S SHADOW Akinola Davies Jr (1er film)
L’INCONNU DE LA GRANDE ARCHE Stéphane Demoustier
URCHIN Harris Dickinson (1er film)
HOMEBOUND Neeraj Ghaywan
A PALE VIEW OF HILLS Ishikawa Kei
ELEANOR THE GREAT Scarlett Johansson (1er film)
KARAVAN Zuzana Kirchnerová (1er film)
PILLION Harry Lighton (1er film)
AISHA CAN’T FLY AWAY Morad Mostafa (1er film)
ONCE UPON A TIME IN GAZA Arab et Tarzan Nasser
THE PLAGUE Charlie Polinger (1er film)
PROMIS LE CIEL Erige Sehiri
LE CITTÀ DI PIANURA (UN DERNIER POUR LA ROUTE) Francesco Sossai
TESTA O CROCE? (HEADS OR TAILS?) Matteo Zoppis, Alessio Rigo de Righi
Hors Compétition
LA VENUE DE L’AVENIR Cédric Klapisch
LA FEMME LA PLUS RICHE DU MONDE Thierry Klifa
HIGHEST 2 LOWEST Spike LEE
MISSION: IMPOSSIBLE – THE FINAL RECKONING Christopher McQuarrie
VIE PRIVÉE Rebecca Zlotowski
Séances de minuit
DALLOWAY Yann Gozlan
EXIT 8 Kawamura Genki
FENG LIN HUO SHAN (SONS OF THE NEON NIGHT) Mak Juno
Cannes Première
AMRUM Fatih Akin
SPLITSVILLE Michael Angelo Covino
LA OLA (LA VAGUE) Sebastián Lelio
CONNEMARA Alex Lutz
ORWELL : 2+2=5 Raoul Peck
DAS VERSCHWINDEN DES JOSEF MENGELE (LA DISPARITION DE JOSEF MENGELE) Kirill Serebrennikov
Séances spéciales
STORIES OF SURRENDER Bono
DITESLUI QUE JE L’AIME – Romane Bohringer
MARCEL ET MONSIEUR PAGNOL Sylvain Chomet
Neïla Driss