Le réalisateur jordanien Amjad Al Rasheed a marqué l’histoire cinématographique jordanienne avec son premier long métrage, « Inshallah a Boy », qui a fait sa première à La semaine de la Critique lors de la 76ème édition du Festival de Cannes, comme étant le premier film jordanien à être sélectionné au Festival de Cannes, toutes sections confondues. Le film y a d’ailleurs remporté le Prix Fondation Gan à la Diffusion.
Amjad Al Rasheed, né en 1985 et titulaire d’un Master en réalisation et montage, s’est rapidement imposé comme l’un des talents émergents de la région. En 2016, il a été reconnu par « Screen International » parmi les cinq « Arab Stars of Tomorrow (Les stars arabes de demain) ». Sa participation au Talent Campus de la 57ème Berlinale a été le prélude à une série de courts-métrages acclamés dans divers festivals arabes et internationaux.
Synopsis:
Jordanie, de nos jours. Après la mort de son mari, Nawal (Mouna Hawa), la trentaine, doit se battre pour ce qu’elle considère comme étant l’héritage de sa fille unique, dans une région du monde où avoir un fils change tout.
Inshallah a Boy transporte le spectateur dans la Jordanie contemporaine, offrant une plongée émotionnelle dans la vie de Nawal, une femme dans la trentaine, confrontée à un défi monumental après la perte de son mari. Le film dénonce les conséquences brutales des lois successorales basées sur la chariaa.
Dès la fin des cérémonies de deuil (Fark), le visage sombre de l’oncle paternel (Haitham Omari), initialement compatissant, est révélé. Ce prédateur avide va commencer par exiger que Nawal lui rembourse une dette de son mari dont elle n’a jamais été informée (il ne produit pourtant aucune preuve, la veuve devant se contenter de sa simple parole). Ignorant la nécessité de laisser à Nawal le temps de faire ses comptes, il la presse également pour recevoir sa part d’héritage, qui se résume à un pick-up partiellement payé et à un petit appartement familial occupé par Nawal et sa fille, insensible au fait qu’elles risquent de se retrouver à la rue et ne tenant pas compte de la contribution financière substantielle de Nawal à l’achat de cet appartement familial. Une procédure judiciaire est d’ailleurs rapidement enclenchée par cet oncle paternel impatient de récolter sa part de l’héritage de son frère.
La dimension patriarcale des lois successorales, régies par la chariaa, est mise en lumière : chez les sunnites, lorsqu’il n’y a pas de descendant mâle, une fille unique ne peut hériter que la moitié de l’héritage de son père, l’autre moitié revenant aux parents de la famille paternelle. Parfois d’ailleurs, ces proches de la famille paternelle disparaissent dès qu’ils ont touché leur part et ne s’inquiètent plus de leur nièce. Les sociétés musulmanes foisonnent des histoires de ces filles qui perdent toute sécurité financière après le décès de leur père et qui peuvent même se retrouver à la rue après avoir vécu dans un certain confort, victimes de la trahison de leurs proches.
Si Nawal avait eu un fils, les règles auraient donc été différentes, mais la réalité actuelle est celle d’une femme devant lutter contre l’avidité de l’oncle, indifférent à sa situation et à celle de sa fille. La pression s’intensifie avec des menaces et une procédure judiciaire visant à prendre la garde de la petite nièce.
Le film expose la discordance des lois héritées de la chariaa, pourtant encore en vigueur dans la grande majorité des pays musulmans, avec la réalité contemporaine. Les règles conçues il y a quatorze siècles, justifiées à l’époque par le rôle économique traditionnel des hommes, se révèlent aujourd’hui injustes puisque les femmes sont éduquées et instruites, qu’elles travaillent et contribuent financièrement aux frais de la famille, défiant le besoin d’une tutelle masculine.
Pour échapper à cet oncle envahissant, Nawal espère et prétend qu’elle est enceinte, espérant échapper à la distribution inéquitable de l’héritage si elle donne naissance à un garçon.
En exposant les injustices sociales, Inshallah a Boy ne se limite pas à la critique des lois successorales, mais explore également d’autres facettes de l’oppression des femmes, telles que le très fragile droit de garde des mères, la « pudeur » imposée aux femmes, aussi bien dans leur comportement que leur tenue vestimentaire (voile et vêtements longs), le droit à l’avortement et l’interdiction des relations sexuelles hors mariage. Ces thèmes étendent la portée du récit au-delà de la sphère juridique, plongeant dans les normes culturelles et religieuses qui affectent la vie quotidienne des femmes jordaniennes, qu’elles soient musulmanes ou chrétiennes.
Le film acquiert une importance significative en exposant la réalité de lois injustes, invitant le public à s’immerger dans les perspectives de Nawal et à questionner la validité de traditions désuètes. La vie ordinaire de Nawal, subitement bouleversée par le deuil et la menace de perdre son héritage, soulève des questions fondamentales sur l’équité et la prédisposition des oncles à exploiter la mort de leur frère comme s’ils attendaient avec impatience ce décès.
Inshallah a Boy se présente comme un thriller élégant, éveillant des questionnements sans offrir de réponses définitives. Les mystères, tels que le téléphone verrouillé appartenant à Adnan, dont Nawal ne peut deviner le mot de passe, les préservatifs découverts dans sa veste, son licenciement dont elle n’avait jamais entendu parler, le comportement louche de la secrétaire du bureau précédent d’Adnan, ainsi que la raison malveillante, ou peut-être simplement imprudente, pour laquelle il n’a jamais signé le contrat reconnaissant la participation financière de Nawal à l’achat de l’appartement dont ils sont tous deux propriétaires en partie dans l’indivision, ajoutent une couche de complexité. Ces éléments incitent les spectateurs à réfléchir sur les subtilités de la condition humaine.
Ce récit captivant, ancré dans la performance émouvante de Nawal, captive le spectateur dès les premières images. La transformation de cette femme, de la vulnérabilité à la résilience, devient une métaphore puissante de la lutte contre l’injustice systémique. À travers le déroulement du récit, Nawal émerge progressivement comme une figure de force face à l’adversité. Au début du film, lorsque son soutien-gorge tombe dans la rue, elle recule dans son balcon pour se cacher de honte, lorsque pendant la cérémonie du deuil (fark), elle se fait sermonner par la dame en niqab qui lui rappelle ses « devoirs » de veuve, elle se tait. Mais par la suite, elle prend en main sa destinée, cherchant des solutions dans un environnement complexe et hostile. Nawal incarne une figure féminine forte et déterminée, défiante des normes sociales oppressantes.
Inshallah a Boy s’inscrit ainsi comme une œuvre cinématographique d’une importance considérable, dénonçant les lois injustes et offrant une réflexion profonde sur la condition féminine dans une société en évolution. La performance remarquable de Nawal et la mise en scène sensible d’Amjad Al Rasheed font de ce film bien plus qu’un simple divertissement ; c’est un appel à l’action, une exploration poignante de la quête universelle de justice dans un monde parfois entravé par des traditions dépassées. Cette œuvre poignante plonge dans les rouages complexes d’une société où les lois anciennes s’entrechoquent avec la réalité moderne. Amjad Al Rasheed offre une perspective profonde sur les défis auxquels les femmes sont confrontées dans cette région du monde, mettant en lumière les inégalités persistantes et les archaïsmes qui subsistent malgré l’évolution du temps.
Ces deux œuvres, et d’autres encore, montrent qu’il est grand temps que les pays musulmans s’attellent à abroger ces lois archaïques, rétrogrades et injustes et se conforment à la réalité actuelle et à l’égalité des femmes et des hommes. La Tunisie a commencé ce travail il y a plusieurs anné es, mais malheureusement elle s’est arrêtée en cours de route, en favorisant encore aujourd’hui en 2023, les hommes sur les femmes et en faisant perdurer cette injustice flagrante qui fait tellement mal et engendre bien des souffrances. Aujourd’hui, non seulement les hommes et les femmes devraient être égaux devant toutes les règles législatives, y compris successorales, mais encore plus, il faudrait que lorsqu’une personne ayant des enfants décède, seuls ces enfants et le conjoint survivant héritent, tous les autres membres de la famille devraient être écartés.
Neïla Driss