Beaucoup de monde pour la première du film «Ana fin» ou «Lost in Tunisia» en ouverture de la 4ème édition du Festival International du Film des Droits de l’Homme.
Ce film documentaire, écrit et réalisé par Elyes Baccar montre les contrastes de la Tunisie d’après révolution, en insistant plus particulièrement sur la femme. Cette tunisienne battante, moderne et traditionnelle à la fois, qui revendique ses droits et se bat pour les préserver, mais en même temps tient à sa culture et ses coutumes, présente partout, à la maison, au travail, dans la rue… bref colonne vertébrale de ce pays.
Pendant 70 minutes, le réalisateur promène sa caméra du Nord au Sud du pays, de la ville à la campagne, de la plaine verdoyante au désert aride, de la capitale aux villages… Il interroge femmes, hommes et enfants. Tout en posant sur eux un regard tendre, il leur demande quelles sont leurs aspirations, quel avenir ils veulent avoir, quelles sont leurs relations avec le sexe opposé…?
En même temps, le film replonge le spectateur tunisien dans un passé assez récent, lui fait revivre les événements, parfois très douloureux, des toutes premières années de l’après révolution : les manifestations, les revendications, les attentes, les espoirs, les assassinats…
A la fin de la projection, on a demandé aux spectateurs s’ils avaient aimé le film et ce qu’ils en pensaient?
Si on avait posé ces questions à des spectateurs non tunisiens, ils auraient pu dire qu’ils ont aimé le film, que les images sont belles, que les prises de vues sont magnifiques, que ce film leur donne une idée de la Tunisie, ce qu’elle était, ce qu’elle a traversé et ce qu’elle est devenue. Une Tunisie complexe, diversifiée et en perpétuel mouvement.
Mais ces questions ont été posées à des spectateurs tunisiens, et nombreux ont été incapables de donner une réponse. En tant que tunisien, on ne peut que très difficilement donner un avis réfléchi et argumenté sur ce film parce qu’on est pris à la gorge par l’émotion. Se retrouver dans toutes ces manifestations, réécouter les slogans, se rappeler la violence de la répression d’un 9 avril 2012, revoir Chokri Belaid vivant et ensuite assassiné, ressentir encore une fois la douleur de sa mort, revivre son enterrement, respirer encore une fois les bombes lacrymogènes…. cela remue et secoue. Surtout que le contraste entre ces tunisiens que l’on voit dans le film, qui étaient dans la rue à lutter, manifester, crier, revendiquer et les tunisiens calmes d’aujourd’hui est frappant.
Pour certains spectateurs, cela prouve que bien du chemin a été parcouru et que le plus dur est loin derrière. Pour d’autres, bien au contraire, le calme actuel n’est que résignation et désespoir. Ils se demandent pourquoi ces tunisiens qui ont passé des années dans la rue à revendiquer, lutter, crier… sont-ils rentrés chez eux? Pourquoi ont-ils arrêté de se battre? Parce qu’ils ne croient plus en personne? Par lassitude?
Les Tunisiens ont certainement parcouru bien du chemin, ils ont gagné certaines batailles. Il faut tout aussi certainement continuer la lutte, mais pour beaucoup l’espoir s’en est allé.
Apathie. Apathie due au fait qu’on n’y croit plus. Ana fin? se demande le réalisateur. Ahna fin?
On a presque envie de répondre : We are lost in Tunisia ! (nous sommes perdus en Tunisie).
We are lost, du moins politiquement.
Politiquement, nous ne savons pas où nous allons.
Le Tunisien n’a aucune culture politique. Pas encore. Mais tout s’apprend, n’est-ce pas?
Neïla Driss