Depuis quelques annĂ©es, je sillonne les Etats du Midwest amĂ©ricain, Ă la recherche de traces tunisiennes, de villes et communautĂ©s dont je vous rendrai compte un jour prochain. L’une de ces Ă©quipĂ©es, dans l’Etat de l’Indiana, m’a mis un jour devant la plus improbable des rencontres. C’Ă©tait une foire agricole et l’un des exposants portait le nom intrigant de « Tunis Sheep ».
C’Ă©tait en 2009 et jamais je n’imaginais me trouver face Ă des moutons amĂ©ricains qui porteraient un nom qui fleure bon la Tunisie.
Excitant ma curiositĂ©, cette rencontre impromptue s’est vite muĂ© en une longue conversation avec l’exposant qui ne savait pas pourquoi ces moutons portaient ce nom. Il m’assura toutefois que la lignĂ©e Ă©tait fort ancienne et que ces moutons Ă©taient non seulement très apprĂ©ciĂ©s mais aussi rĂ©pandus dans 32 Etats amĂ©ricains et aussi en Ontario canadien, en Australie et en Afrique du sud. De l’Iowa Ă l’Arizona et de l’Indiana Ă l’Ohio, ces moutons Ă©taient prĂ©sents aussi bien dans le Midwest qu’ailleurs aux USA.
Avec sa taille moyenne, sa grosse queue et sa couleur crĂ©meuse, le « Tunis Sheep » est d’ailleurs une espèce dĂ»ment enregistrĂ©e dans le Registre national des Ă©leveurs amĂ©ricains. Certains Ă©leveurs sont de plus spĂ©cialisĂ©s dans ce type de moutons très apprĂ©ciĂ©s par un public de connaisseurs. Il existerait Ă travers les Etats-Unis d’AmĂ©rique plus de 10.000 tĂŞtes de cette race et, chaque annĂ©e, voit la naissance de 2500 agneaux en moyenne.La question demeurait de savoir si ces moutons pouvaient ĂŞtre reliĂ©s Ă la Tunisie ou bien si leur nom n’Ă©tait qu’une occurrence linguistique. Je n’allais pas tarder Ă dĂ©couvrir la rĂ©ponse. elle trouve son origine dans la Tunisie de la fin du dix-neuvième siècle, alors que les Etats-Unis venaient d’Ă©tablir des relations diplomatiques avec notre pays.
A cette Ă©poque, William Eaton Ă©tait le consul amĂ©ricain Ă Tunis et le co-signataire avec Hamouda Pacha du premier traitĂ© entre nos deux pays. Pour saluer cet accord, Hamouda Pacha avait fait don d’un petit troupeau d’ovins, comprenant plusieurs femelles et deux bĂ©liers.
Ces animaux embarqueront le 3 mai 1799 Ă bord du « Sophia », un brik commandĂ© par le capitaine Henry Geddes. Le bateau subit quelques dĂ©boires et la traversĂ©e emporta l’essentiel du troupeau. Seuls survivront un bĂ©lier nommĂ© Garamelli et une femelle nommĂ©e Selima. Les ovins tunisiens arriveront en port de Philadelphie et seront remis au secrĂ©taire d’Etat Thomas Pickering. Ils aboutiront aussitĂ´t dans la ferme de Richard Peters, un juge qui possĂ©dait une ferme Ă Belmont, en Pennsylvanie.
Ce dernier allait non seulement inclure Garamelli et Selima dans son Ă©levage mais aussi ĂŞtre Ă l’origine de deux lignĂ©es qui porteront le nom de Tunis, en rĂ©fĂ©rence Ă leur origine gĂ©ographique. Une lignĂ©e gardera sa puretĂ© originelle et une autre sera le fruit d’un croisement avec des ovins dĂ©jĂ prĂ©sents dans les Ă©tables amĂ©ricaines.
Ensuite, le juge Peters diffusera le mouton de Tunis un peu partout, notamment dans les Etats de la Nouvelle-Angleterre et ceux du sud-est. C’est ainsi qu’on trouvera cette espèce d’origine tunisienne au Maryland, en Virginie, en Georgie et dans les deux Carolines. Pour l’anecdote, le prĂ©sident amĂ©ricain Thomas Jefferson en possĂ©dait un troupeau entier et, raconte-t-on, il laissait ses moutons tunisiens paĂ®tre dans les environs de la Maison-Blanche !
La Guerre civile amĂ©ricaine a failli ĂŞtre fatale au troupeau des « Tunis Sheep ». En effet, l’essentiel des bĂŞtes fut sacrifiĂ© pour nourrir la troupe, alors que les combats faisaient rage dans toute la rĂ©gion orientale des USA. Il faudra alors l’ardeur de Maynard Spigener qui est parvenu Ă sauver un troupeau qui allait s’avĂ©rer essentiel pour la survie de cette espèce de moutons.
C’est en trouvant un refuge en Caroline du sud que Spigener sauvera les Tunis Sheep de l’extinction. Puis; Ă partir de 1893 Ă la grande exposition de Chicago, la race ovine d’origine tunisienne reprendra pied un peu partout, après avoir conjurĂ© cette menace de disparition.
Le « Tunis Sheep » se dĂ©veloppera alors dans le Midwest, Ă partir de l’Illinois et de l’Indiana oĂą la famille de mon interlocuteur Joe Brewer est installĂ©e depuis 1894. Plus tard, en 1929, le « Tunis Sheep » sera considĂ©rĂ© comme une espèce Ă prĂ©server dans sa spĂ©cificitĂ© et son originalitĂ©.
Depuis, les descendants de Garamelli et Selima ont essaimĂ© un peu partout et il est extraordinaire de constater comment ce qui n’Ă©tait Ă l’origine qu’un simple cadeau de Hamouda Pacha, bey de Tunis, est devenu un motif de fiertĂ© pour de nombreux Ă©leveurs amĂ©ricains.
Peut-ĂŞtre bien qu’un jour, par un dĂ©tour dont elle a le secret, l’histoire finira-t-elle par ramener sous le ciel de Tunisie quelques uns de ces « Tunis Sheep » qui pourraient alors se trouver Ă l’origine d’une nouvelle lignĂ©e…
Nota Bene : Ce billet reprend l’essentiel d’une communication faite en dĂ©cembre 2016 Ă l’occasion de la cĂ©lĂ©bration du soixantenaire de l’Ă©tablissement des relations diplomatiques entre la Tunisie et les Etats-Unis d’AmĂ©rique.
