Ce devait être une journée paisible, une journée d’été comme tant d’autres. Le sable chaud, les rires des enfants, le clapotis des vagues. Et puis, tout à coup, les cris : « Au feu ! ». En quelques instants, la panique. Une cabane au toit de paille venait de s’enflammer.
La scène s’est déroulée en pleine journée, sur une plage tunisienne. Très vite, les employés du site — gardiens, agents de sécurité, serveurs — ont accouru, armés d’extincteurs. Leur sang-froid et leur efficacité ont permis de contenir les flammes, d’éviter le pire. Les pompiers ont ensuite pris le relais. Bilan : des dégâts matériels. Pas de blessés. Mais une colère profonde, tenace, qui ne s’éteindra pas aussi facilement que le feu.
Cet incendie aurait pu avoir des conséquences bien plus graves. Car cette cabane est située juste à côté d’un abri de voiture. Que se serait-il passé si une voiture avait été touchée ? Si son réservoir d’essence avait explosé ? À quelques mètres de là se trouve aussi un accès direct à la plage, souvent emprunté par des familles, des enfants, des personnes âgées. Une seule étincelle de plus, et la tragédie était à portée de souffle.
D’après l’enquête préliminaire de la Protection civile, l’incendie aurait été provoqué par un simple mégot de cigarette, jeté par-dessus un mur peut-être par un client ou un employé d’un restaurant voisin, également construit en paille. Un geste anodin, négligent, irresponsable. Et pourtant, potentiellement meurtrier.
Ce n’est qu’un fait divers, diront certains. Mais il est révélateur d’un mal bien plus profond : l’incivilité banalisée, la négligence élevée au rang de norme, le refus d’assumer la moindre responsabilité collective.
Dans le cas présent, ce mégot a déclenché un feu. Mais combien d’autres mégots sont simplement enfoncés dans le sable ? Combien jonchent nos plages, au milieu des coquillages et des jouets d’enfants ? Combien de bébés, de tout-petits, risquent chaque jour de mettre un de ces déchets toxiques à la bouche, faute d’attention, faute de civisme ?
Et ce n’est pas faute d’infrastructures : des cendriers sont installés sur toutes les tables, les poubelles sont visibles, accessibles. Il suffirait de faire deux pas, ou de tendre la main. Mais non. Il est tellement plus facile de se débarrasser de son mégot dans le sable, comme on se débarrasse de sa responsabilité.
Chaque jour, par des gestes aussi simples qu’un jet de mégot ou qu’un sachet plastique laissé sur le sol, nous signons notre défaite. Mais faut-il s’y résigner ? Que faire ? D’abord, dire STOP. Dénoncer ces comportements. Exiger des amendes, des sanctions, des campagnes de sensibilisation sérieuses. Éduquer dès l’école, mais aussi rappeler aux adultes qu’ils n’ont pas le droit de polluer, de dégrader, de mettre en danger les autres. Multiplier les cendriers, oui. Mais aussi exiger leur usage.
Surtout, il est urgent de redonner de la valeur à l’espace collectif. Une plage n’est pas un dépotoir. Une rue n’est pas un cendrier géant. Et si nous ne réapprenons pas à respecter ce qui est à tous, alors plus rien ne nous distinguera d’une société en décomposition.
Un mégot a failli tout brûler. Ce jour-là, le feu a été éteint. Mais la braise, elle, est encore là — invisible, insidieuse. Et elle nous consume lentement.
Neïla Driss