Je ne sais par quel miracle je me suis retrouvé arpentant le marché de Halfaouine. Allant vers la mosquée Saheb Ettabaa, le palais Khaznadar et la zaouia El Bokria, je laissai mon regard caresser la fraîcheur des fruits et des légumes.
Entre les fenouils et les artichauts, les mandarines et les blettes, mes yeux n’avaient d’yeux que pour les narcisses. Leur texture blanche constellée de jaune, leurs tiges fragiles et la saison qu’ils suggèrent, m’ont toujours aimanté.
Sur les marchés de Tunis, ils sont quelques uns à offrir ces jonquilles fraîchement cueillies et présentées sur des étals de fortune. Comme les marchands d’azeroles et de jujube, ils apparaissent dans la ville aussi furtivement qu’ils s’en éclipsent.
Ruraux jusqu’à la terre sur les ongles, entre Nuits blanches ou noires et pluvieuses, ces marchands sont à l’image des premiers frémissements du plein hiver.
Ali, croisé dans les sillons de Halfaouine, plongés dans des rêves et les mains dans les fleurs, manipule sa précieuse cargaison avec amour. Il sait qu’il faudra qu’il écoule ses précieuses jonquilles en pleine gloire, avant qu’elles ne commencent à faner.
Avec ses bouquets frétillants comme si le vent les faisait ondoyer, il attend le chaland avec la bonhommie qui sied à un fleuriste.
Ma main se saisit d’un des bouquets de ce muguet de janvier, aussi éphémère que celui, printanier du mois de mai. Quelques mots échangés avec Ali m’apprennent que les fleurs ont été cueillies au petit matin.
Chaque jour, Ali revient ici pour récupérer les fanes des fenouils et toute la verdure que les clients abandonnent et que lui récupère. Et en attendant la fin de la journée, il pose devant lui ses narcisses, en humant les senteurs tout en voyant défiler la foule bigarrée du marché de Halfaouine.