Après une dizaine d’années d’errements, les Tunisiens semblent avoir tourné le dos à leur pragmatisme légendaire.
Là où la pondération l’emportait toujours, c’est la vocifération qui s’est imposée. Réputés conciliants, mes compatriotes semblent désormais faire le choix du jusqu’au boutisme.
Cela signifie qu’au lieu de privilégier le dialogue, on lui préfère une périlleuse culture de la confrontation. Cela signifie aussi qu’au lieu d’analyser une situation donnée, on préfère échanger flèches, petites phrases et anathèmes.
Le pragmatisme est-il à ce point devenu une denrée rare ? La question se pose lorsqu’on observe la multiplication des impasses qui nous guettent et notre manière d’agir qui oscille entre ignorer le péril et invectiver l’autre.
C’est avec beaucoup de peine que je constate ces dégâts et ce nouvel escapisme qui institue la fuite en avant en mode de pensée et de comportement.
Alors que la classe politique se déchire, que les syndicats fulminent et que le petit peuple se vautre dans un racisme abject, la Tunisie souffre et s’enfonce.
On dirait que le nouveau personnel politique n’a pas compris le message des dernières élections législatives dont le taux d’abstention exprime le rejet global d’élites jugées irresponsables et coupables d’entraîner un pays pragmatique dans les méandres d’idéologies sans espoir.
Dix ans d’islamisme hypocrite et de panarabisme anachronique ont déplacé les curseurs de notre culture politique.
L’évidence saute aux yeux : le pragmatisme a été évincé par ces approches idéologiques et le centre de gravité de notre identité politique est passé de pragmatiste à radical.
À lui seul, ce changement de paradigme est un bouleversement profond car penser le monde en islamiste ou en panarabiste revient à évacuer le réel immédiat pour des chimères.
En tout état de cause, c’est le pragmatisme qui en pâtit et le populisme qui l’emporte lorsque les solutions médianes sont abandonnées au profit des crispations de toutes sortes.
Hegel nous a appris que la dialectique est un exercice qui dans tout conflit, permet aussi d’opérer une synthèse. Et c’est de synthèse c’est à dire de pragmatisme que la Tunisie a le plus besoin.