Et pourquoi pas cinq ! Car si nous comptions aussi les célébrations de l’année orthodoxe, il faudrait ajouter une autre fête. Ne les oublions pas, les épouses slaves et orthodoxes de nombreux compatriotes ont adopté la nationalité tunisienne et comptent autant que chaque autre citoyen de notre pays.
Autrement, et de manière plus classique, les Tunisiens fêtent quatre fois la nouvelle année selon des traditions différentes et convergentes.
Le 1er janvier est célébré comme il se doit et commémore l’année civile, selon le calendrier universel. Le 14 janvier, nous fêtons l’année agraire qui se décline selon le calendrier julien et s’apparente aussi à la tradition amazigh. Le Jour de l’an hégirien nous relie à la tradition musulmane alors que Rosh Hachana nous renvoie à la tradition juive, celle de la deuxième communauté religieuse de Tunisie.
Avec ces cinq jours qui ouvrent chacun une nouvelle année, nous soulignons bien le caractère pluriel et immémorial de nos traditions. À chaque fête ses coutumes et ses rituels qui vont du couscous au champagne en passant par la verte mloukhia de nos années toujours vertes.
Cette diversité tunisienne est aussi à l’œuvre dans nos familles métissées. Je suis toujours ému par le fait que nous ayons de si nombreuses langues maternelles. De la langue tunisienne à l’hébreu, de l’arabe au français, nous parlons un arc-en-ciel de langues et lorsque nos mères sont japonaises, philippines, tchèques ou polonaises, ce sont aussi ces idiomes qui sont nôtres.
Dès lors, au jour de l’An et à chacun des jours consacrés festifs, saluons notre diversité et bien sûr, échangeons nos vœux d’usage. Et surtout, ne l’oublions jamais, chaque individu est unique, chaque être compte, chaque mère et chaque enfant sont la continuité de notre pays.
Où que vous soyez, bonne année à tous les Tunisiens. Fussent-ils nés dans une autre nationalité, leur socle reste à jamais tunisien, leur terroir situé quelque part entre les flots de la Medjerda et les dunes du Sahara et leur souche plurielle déployée entre trois mille ans d’histoire et un millier de kilomètres de côtes.
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Bientôt une nouvelle année
Au seuil de 2023, je me sens comme un Sisyphe en bas de la colline et condamné à remonter la pente. Les derniers mois n’ont pas été faciles professionnellement et malgré quelques lueurs de joie, je dois faire face à un gâchis monumental.
Je me plierai toutefois à la règle de Sisyphe qui en général s’applique comme un véritable théorème de la résilience. Quitte à ce que le rocher que je vais pousser à la force de mes bras pour lui faire gravir la colline, soit précipité de nouveau en bas de la pente, je vais persévérer et ne pas me laisser abattre.
Alors que je m’apprêtais à renoncer à une mission que des mains invisibles continuent à compliquer, j’ai trouvé un message de réconfort et une invitation à la résilience dans la paracha de cette semaine.
C’est inouï ce que la Thora et le Midrash peuvent inspirer ceux qui savent les lire avec un cœur ouvert. Et, nous autres de culture musulmane, gagnerions beaucoup à retrouver certaines de nos racines qui se trouvent aussi dans la Thora.
J’en veux pour exemple Moïse qui – j’étais alors enfant – est entré dans ma vie grâce à un film et un berceau qui flottait sur le Nil. « Les Dix commandements » de Cécil B. De Mille a été un grand classique de nos enfances pour ceux nés comme moi à la fin des années cinquante. Et la manière dont Moïse était représenté dans ce film en a fait un des prophètes les plus emblématiques du monothéisme.
Intitulée « Vaéra » (J’apparus), la paracha de cette semaine nous renvoie d’ailleurs à Moïse car elle annonce la promesse de délivrance pour un peuple réduit à l’esclavage et condamné à construire ses maisons sur des terrains marécageux.
Les textes sacrés disent bien: « Je suis l’Éternel. Je vous ferai sortir des fardeaux de l’Égypte et Je vous sauverai de leur servitude, et je vous délivrerai avec un bras étendu »
À ce propos, il est utile de rappeler comme le commente le Midrash « que les Égyptiens forçaient les Juifs à construire dans des zones marécageuses, impropres à la construction. Bien sûr, tous les projets de construction échouaient. Ces manœuvres avaient pour seul but de les soumettre psychologiquement.
En ce sens, la loi juive interdit de forcer un employé à faire un travail inutile juste pour le garder occupé. Il n’y a pas de plus grande frustration que de sentir que l’on fait quelque chose qui n’a pas de sens, que les efforts que l’on investit ne mènent nulle part.
Le sentiment d’être « occupé » sans pour autant rien accomplir, de courir d’un endroit à l’autre sans voir aucun fruit de notre travail nous épuise physiquement et mentalement. Lorsque le pays ou le monde est en proie au chaos, nous nous demandons s’il est judicieux de construire sur ce bourbier.
Tous les projets semblent être sans valeur, il n’y a pas de réflexion à long terme, il n’y a rien de solide sur quoi s’appuyer. C’est une torture mentale et morale ». C’est pour cela que pour échapper à ce qui peut être appelé notre « Égypte » personnelle, nous devons donner un sens à chaque geste, à chaque mot, à chaque jour de notre vie.
« Si nous veillons à être utiles aux autres tous les jours, à exploiter notre travail, nos talents et nos ressources pour faire le bien, nous saurons et nous sentirons que tout a un sens, que tout vaut la peine ».
C’est cette leçon stoïcienne que je reçois comme une bénédiction au seuil de la nouvelle année. C’est un simple mail, contenant ces mots que j’attendais peut-être, qui m’a ouvert les yeux sur mon devoir de résilience en toute circonstance. Malgré la lassitude. Malgré l’injustice. Malgré l’aveuglement de ceux qui pensent pouvoir régenter nos vies.
Aussi impuissant que Sisyphe, je remonterai la pente avec le cynisme de Diogène, d’un philosophe qui est loin d’être accablé et qui, finalement, ira chercher ses forces dans l’épreuve qu’on lui fait subir.
Souvent, je répète avec Michel Ange « Ancora Imparo », autrement dit « Je continue à apprendre ». Le grand artiste disait ces mots alors qu’il était très âgé. Souvent, je me souviens de l’image d’un château de sable patiemment construit que les vagues viennent lécher avant de l’emporter.
Sans que mes mains se résignent, j’accepte cette contingence du vivant sans non plus sourciller. Car je sais que la délivrance est plus lointaine, à l’horizon de chaque épreuve, dans le miracle de la mer entrouverte et dans la patience de la foi qu’on enfile comme une armure.
Malgré sa tonalité, ces dernières chroniques pour 2022 n’en restent pas moins joyeuses et lucides. Car rien de mieux qu’un combat qui paraît perdu d’avance, ne peut éprouver un cœur épris de justice et de liberté.
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Maisons ancestrales
Et pour conclure, je vous invite à réfléchir sur ces propos anonymes évoquant la maison des parents. C’est un ami lecteur qui nous les adresse. Lisons plutôt.
« La seule maison où vous pouvez aller des dizaines de fois sans y être invité. C’est la seule maison où vous pouvez mettre la clé dans la serrure et entrer directement. La maison dont les yeux aimants fixent la porte jusqu’à ce qu’elle vous voie.
La maison qui vous rappelle vos moments sans soucis, votre stabilité et votre bonheur pendant votre enfance. La maison dans laquelle votre présence en face du visage de votre mère et votre conversation avec elle est votre récompense. La maison où, si vous n’y allez pas, le cœur de ses propriétaires va rétrécir.
La maison dans laquelle deux bougies ont été brûlées pour illuminer le monde et remplir votre vie de bonheur et de joie. La maison où, à l’heure où la nourriture arrive, si vous ne mangez pas, le cœur des propriétaires sera meurtri et brisé. La maison qui vous offre tous les rires et le bonheur. Ô Enfants ! Découvrez les valeurs de votre maison avant qu’il ne soit trop tard.
Chanceux sont ceux qui peuvent aller à la maison de leurs parents ».