Que reste-t-il de la mémoire des maisons closes de Tunis ? À vrai dire pas grand-chose sinon quelques témoignages, de rares photographies et la mémoire de certains lieux qui, aujourd’hui, sont soit délabrés soit reconvertis.
Ces maisons closes qualifiées de lupanars ou de boxons, étaient concentrées dans la médina et se trouvaient pour certaines autour de la rue Zarkoun et pour d’autres, autour de la rue El Mektar.
Ces maisons closes cohabitaient avec d’autres lieux de prostitution qui se trouvaient disséminés dans plusieurs quartiers de la ville. Citons par exemple la rue Sidi Abdallah Guèche, la rue du Persan, la rue Sidi Ben Naim ou encore la rue El Melahfi qui abritaient certains boxons.
En ce qui concerne les maisons closes, autour de la rue Zarkoun se trouvaient deux établissements : le premier était nommé le Sphinx et existe encore à l’état de ruine. Le second se nommait la Mossa et a complètement disparu.
Photos de Denise Bellon (1947)
Autour de la rue El Mektar, on dénombrait quatre maisons closes : la Grande maison et les Palmiers aujourd’hui devenus des hôtels, le Chabanais et le Cytheria dont la trace s’est perdue.
La chronique a pour sa part retenu plusieurs anecdotes relatives à ces maisons closes. Par exemple, chaque mardi et chaque jeudi, la visite médicale était de rigueur au Service municipal d’hygiène et était suivie par un petit-déjeuner chez Paparone sous les arcades de l’avenue de France. Ce dont profitaient toutes sortes de curieux et de voyeurs qui venaient se rincer l’oeil.
De même, ils étaient nombreux à se déplacer jusqu’au port de Tunis à chaque fois qu’ils apprenaient que de nouvelles entraineuses et danseuses de revue arrivaient à Tunis pour y animer les nombreux cabarets de l’époque.
Citons pour mémoire plusieurs de ces cabarets dont certains existent encore de nos jours à l’instar de Monseigneur, la Potinière ou le Crazy Horse. D’autres comme l’Ermitage, la Forestière ou les Champs-Elysées ont disparu même si les édifices qui les abritaient, existent encore.
Après la révolution tunisienne de 2011, les derniers « quartiers réservés » ont commencé à fermer définitivement leurs portes. La pandémie du coronavirus sera fatale pour ceux qui n’avaient pas mis un terme à leur activité, alors tolérée par les pouvoirs publics et encadrée par les instances sanitaires.
Parmi les rares photographies des quartiers réservés de Tunis, les clichés illustrant ce billet sont l’œuvre de Denise Bellon.
Prises dans les alcôves de la rue Sidi Abdallah Gueche en 1947, ces photos sont celles de femmes tombées dans le monde de la prostitution. Complices de la photographe, elles se mettent en scène avec pudeur et intelligence alors que Bellon pose sur elles un regard empreint de tendresse.
Photos de Denise Bellon (1947)
Cet ensemble date de 1947 et avait été publié par Cérès Editions lors de la rétrospective consacrée à Denise Bellon par l’Institut français. Rares et précieuses, ces photographies sont des témoignages bruts d’un temps révolu et, pour le regard du sémiologue, elles fourmillent de mille détails signifiants qui se cachent dans un costume, un tableau, un regard, une attitude ou une touffe de poils sous les aisselles.
Ces photographies qui ne sont en rien scabreuses sont à regarder attentivement car elles ont valeur de documents. Elles nous mettent face à une galerie de personnages anonymes, des femmes publiques comme l’on dit si malheureusement.
Qui étaient-elles ? D’où venaient-elles ? Que sont-elles devenues ? Quelques visages et des histoires oubliées, occultées qui nous renvoient à la réalité des boxons de l’après-guerre dans un Tunis évanoui.