Notre billet aujourd’hui a le goût des rebonds qui nous apprennent dans le détail, des tranches de vie du vieux Tunis. C’est notre ami Daniel Passalaqua qui nous offre son témoignage sur les tailleurs de la capitale à une époque oubliée. A lui la parole aujourd’hui !
« J’ai lu avec plaisir le bel article que vous avez consacré à mon ami René Cauchi, dont je n’avais plus de nouvelles depuis une quinzaine d’années.
Les plus grands tailleurs de Tunis dans la période allant de 1920 à 1943 étaient De Carlo (et non Di Carlo), sis au 3, Rue d’Alger, et mon grand-père maternel Domenico Cellura (décédé en janvier 1938), puis son fils cadet Marcello, qu’il avait formé à un très haut niveau (jusqu’à fin 1943, lorsqu’il a été arrêté et envoyé en camp de concentration comme des milliers d’autres italiens, puis expulsé en 1945), sis au 4, Rue d’Alger. Les deux ateliers se faisaient face, ils se partageaient en bonne et loyale concurrence l’élite de la clientèle tunisoise.
En outre les familles étaient liées d’une solide amitié. Chez aucun des deux le client pouvait apporter son propre tissu. De Carlo et Cellura avaient en stock toute une gamme de tissus de très haute qualité, chez l’un et l’autre un costume trois pièces coutait 600 francs en 1936, soit le salaire mensuel d’un fondé de pouvoir d’une banque.
Parmi les clients de mon grand-père et de mon oncle il y avait quelques grandes familles italiennes, maltaises et françaises (dont notamment de très hauts fonctionnaires de la Résidence Générale) , ainsi que les membres de grandes familles tunisiennes : les Baccouche, Guellaty, El Okby, Djellouli, Mohsen, Hayder et toute la fratrie Ben Romdhane, autour de Mohamed, qui présidait la section tunisienne du Grand Conseil.
Des liens particulièrement cordiaux, voire de grande amitié, avaient été liés entre mon oncle Marcel et des membres de son âge de certaines de ces familles, en particulier les Baccouche, les Ben Romdhane et les Guellaty, avec lesquels nous nous fréquentions en famille.
Après 1943, queques tailleurs les talonnèrent, sans toutefois atteindre pleinement leur niveau, dont Catalano père et fils, Dentamaro, Salerno et Tumbarello. Sam (qui avait épousé une italienne chrétienne, dont la sœur avait épousé un fils Catalano, mon camarade de lycée) était un cas particulier, car il était avant tout un bon tailleur pour jeunes.
René Cauchi a été le ‘’jeune’’ talent qui a poussé après les années soixante à l’ombre et à la suite de ses prédécesseurs. Il a largement mérité sa réputation. »