Serions-nous de ces États qui ne reconnaissent pas leurs propres citoyens ? Être juif en Tunisie reviendrait-il à être une sorte d’otage malgré soi, comme ces captifs chrétiens au temps des corsaires barbaresques qui attendaient leur rachat ?
Notre pays en partage n’est pas ainsi, n’a jamais vécu ainsi. Au temps de Lamine Bey pour ne citer que le dernier des Husseinites, nous étions tous reconnus et, aussi bien les rabbins que les imams honoraient la cour de leur présence.
Quand Bourguiba abolit les tribunaux religieux pour unifier le droit, il le fit au nom de l’égalité de tous les citoyens mais l’histoire a démontré que les intentions aussi nobles soient-elles, ne suffisaient pas pour inverser un ostracisme à la peau dure.
Aujourd’hui, ce que beaucoup de Tunisiens attendent de leur gouvernement, c’est simplement de la compassion envers les familles frappées par le terrorisme aveugle. De la compassion pour les sécuritaires qui au fond, sont tombés au champ d’honneur. De la compassion pour les familles juives de Djerba qui ont perdu des êtres chers sous un feu terroriste qui les ciblait expressément.
Une question me brûle les lèvres : pourquoi, à ce je sache, aucun haut responsable n’a-t-il pour le moment fait le déplacement jusqu’à Djerba pour présenter des condoléances officielles et rassurer les citoyens tunisiens de confession juive ?
J’attends encore ce geste de compassion et je crains que personne ne le fasse en notre nom à tous ? Est-ce à dire que les commis de l’État ne ressentent rien de la douleur juive et de la peur de l’avenir qui lui est chevillée ?
Serions-nous dans la configuration insupportable selon laquelle une majorité aveuglée par des œillères identitaires ignorerait superbement cet attentat terroriste voire s’en réjouirait ? Est-ce le populisme ambiant et ce qui se passe en Orient, à mille lieues de la Tunisie, qui freinerait mon gouvernement de se rendre au chevet de citoyens tunisiens meurtris dans leur chair ?
Je supplie modestement le gouvernement tunisien de lever tous ces doutes et déléguer ministres et gouverneur qui ne feraient que leur devoir moral en allant au-devant de nos concitoyens éprouvés par les circonstances.
Faut-il rappeler que la tradition tunisienne est tout autre ? En d’autres temps, les autorités présentaient leurs vœux à la minorité juive à chaque grande fête religieuse. Je ne cite que cet exemple mais pourrais en évoquer plusieurs autres.
Je me contenterai d’ajouter que les simples citoyens que nous sommes, ont heureusement suppléé à la défaillance des gouvernants. Nous avons été nombreux à présenter nos condoléances fussent-elles virtuelles et pour ma part, je me suis rendu jeudi à la grande synagogue de Tunis où se déroulait un service funèbre dirigé par le rabbin Amram, à la mémoire de toutes les victimes de la tragédie.
J’ai accompli mon devoir moral, humain, fraternel. J’attends de celles et ceux qui ont mandat de me représenter qu’ils en fassent autant. J’attends des députés de la nation et du pouvoir exécutif des mots clairs, francs et massifs pour nous dire que tous les citoyens sont égaux et que le terrorisme est unanimement condamné.
Ce serait pourtant simple de déléguer par exemple le président de l’Assemblée des représentants du peuple pour dire au nom de tous les citoyens que nous sommes, notre douleur et notre colère partagée quand n’importe quel Tunisien, où qu’il soit, est pris pour cible par ces fous de Dieu qui jouent sur le sempiternel amalgame entre juif et sioniste, ravivant l’antisémitisme le plus abject qui soit.
Ne tombons pas dans ces pièges grossiers et montrons à leurs commanditaires et marionnettistes de la terreur, que notre front est uni et que nous sommes Tunisiens, que nous le sommes foncièrement et résolument, dans le respect de toutes nos différences et l’honneur de notre nation.