Depuis le discours du prĂ©sident de la RĂ©publique sur l’Ă©galitĂ© dans l’hĂ©ritage et le mariage des Tunisiennes Ă un non-musulman, c’est une vĂ©ritable levĂ©e des boucliers dans le camp islamiste en Tunisie et ailleurs.
En effet, mĂŞme l’imam d’Al Azhar est intervenu dans le dĂ©bat pour rĂ©futer les propositions du prĂ©sident de la RĂ©publique tunisienne. C’est dire si l’approche prĂ©conisĂ©e par BCE a sorti tout le monde de la lĂ©thargie estivale et poussĂ© le parti des lignes rouges Ă mobiliser ses troupes.
« Ligne rouge Ă ne pas franchir »: l’expression est devenu tristement cĂ©lèbre au temps de la Troika au pouvoir lorsque les intĂ©gristes toutes sensibilitĂ©s confondues prĂ©tendaient imposer leur loi Ă la sociĂ©tĂ© tunisienne dans son ensemble.
BCE a-t-il franchi une « ligne rouge » en prĂ©conisant les changements Ă propos des quels il s’est exprimĂ© ? Cela ne fait pas de doute pour plusieurs voix islamistes ou proches du versant conservateur de l’Ă©chiquier politique tunisien. Abdellatif El Mekki et Abdelfattah Mourou ont commentĂ© les propositions de BCE en n’y adhĂ©rant pas.
Le syndicat des imams vient d’appeler le mufti de la rĂ©publique Ă dĂ©missionner car coupable Ă ses yeux de comprĂ©hension et d’Ă©loges Ă l’Ă©gard du prĂ©sident de la RĂ©publique. Par ailleurs, Hachemi Hamdi du courant Al Mahabba vient de lancer une pĂ©tition demandant Ă destituer BCE Ă cause de son discours du 13 aoĂ»t. Enfin, dans les milieux salafistes, on parle de blasphème en condamnant vivement le discours de BCE.
La promptitude et la virulence des réactions souligne combien les activistes des lignes rouges restent mobilisés et toujours résolus à injecter davantage de conservatisme dans une société immobile.
De plus, cette question de l’Ă©galitĂ© dans l’hĂ©ritage est un facteur de clivage Ă©vident. Le fait est que BCE dans son discours se rĂ©fère Ă la constitution et invite les juristes Ă plancher sur la question pour que le droit puisse connaĂ®tre des Ă©volutions en conformitĂ© avec les textes et en harmonie avec les attentes de la sociĂ©tĂ©.
Le président de la République vient de lancer un véritable pavé dans la mare et, à rebours, démontré que la société tunisienne restait frileuse alors que le camp conservateur continue à mobiliser bien plus vite et plus fort que le camp moderniste.
En effet, le soutien au prĂ©sident de la RĂ©publique dans son projet reste timide, empreint d’un enthousiasme tempĂ©rĂ©. Le mĂ©rite de BCE pour le moment est bel et bien d’avoir ouvert le dĂ©bat, tout en induisant que ce dĂ©bat est au fond impossible car il dĂ©chaĂ®nerait vite les passions et pousserait les tenants de la tradition Ă agiter la terminologie des lignes rouges.
Sur un autre plan, le prĂ©sident n’a fait qu’indiquer un cap, une direction. Il a parlĂ© en se plaçant en dehors et au-dessus des partis, au nom d’un Etat qui serai civil et oĂą primerait le droit positif.
Ceci a pourtant eu pour effet mĂ©canique de rĂ©veiller le camp des lignes rouges et souligner combien certaines dispositions de la constitution relevaient uniquement de la pĂ©tition principe. Car au fond, le dĂ©bat qui commence Ă s’esquisser sera aussi un dĂ©bat sur la constitution et la manière dont chaque sensibilitĂ© politique la comprend dans certains de ses aspects.
Rien que d’avoir invitĂ© le ministre de la Justice Ă plancher sur les deux questions envisagĂ©es a pourtant suffi Ă dĂ©clencher une tempĂŞte de rĂ©actions franchement dissuasives.
Ainsi, la bonne vieille tactique des lignes rouges Ă ne pas franchir reprend du service et, sans aucun doute, ce sera toujours le cas, dès que les tenants de l’orthodoxie verront d’un mauvais oeil une idĂ©e, une tentative de rĂ©forme ou un germe d’innovation.
Le glacis autour de ces « lignes rouges » s’Ă©vertuera Ă bloquer toute avancĂ©e. Dès lors, BCE a-t-il simplement Ă©mis un voeu pieux en cette journĂ©e du 13 aoĂ»t 2017 que certains qualifient d’historique?
A-t-il simplement voulu mettre le doigt sur les pesanteurs de la sociĂ©tĂ© tunisienne et l’instrumentalisation permanente du domaine religieux par les islamistes? Dans les deux cas, BCE a rĂ©ussi son coup en mettant les uns et les autres devant leur reprĂ©sentativitĂ© rĂ©elle et en dĂ©montrant a contrario une mainmise conservatrice sur toute vellĂ©itĂ© de changement.
Enfin, comment ne pas voir dans cette initiative du locataire de Carthage un nouveau contre-feu, un énième écran de fumée qui vient encore une fois différer la lutte effective contre la corruption? Comment ne pas y voir aussi une manière subtile de souligner le véritable rapport de forces dans la société tunisienne à la veille des élections municipales?
Les idées généreuses du président connaîtront-elles un début de réalisation ou bien seront-elles destinées à rejoindre les nombreux projets mort-nés, repoussés par la majorité morale et conspués par les tenants des lignes rouges?
H.B
