Ce matin, je me suis installé au jardin japonais de Tunis, un lieu d’une finesse extrême-orientale et d’une beauté subreptice qui vous envoûte doucement, sans que vous ne le sachiez, tellement vos sens sont sollicités par une multitude de détails.
Des pierres qui doivent être venues tout droit du Japon, des arbres, des pontons et des donjons qu’on dirait surgis d’un oasis de zenitude. Même le soleil d’avril ne parvient pas à écraser cette île nippone mais au contraire, la pare d’une auréole méditerranéenne.
Je suis assis ici entre coq et rossignol alors que le soleil levant éclaire la nature. Je ressens très fort que ce jardin est notre invité comme le sont les mosquées ottomanes, les églises chrétiennes, les immeubles art nouveau ou les sanctuaires juifs.
C’est à nous d’en prendre soin comme nous le ferions pour un ami étranger qui nous honore de sa présence. Assis au milieu de cet eden, je me laisse bercer par le gazouillis des oiseaux qui nichent dans les arbres, dans un gai tumulte parfois froissé par le croassement d’une des grenouilles qui vivent dans les bassins.
C’est ici que je viens écrire mes poèmes sur le mode haïku et parfois lire ceux de Basho ou Issa, histoire de me retremper dans cet univers insaisissable, aussi fugace qu’un souffle, aussi éphémère qu’un instant.
Ce matin, le jardin japonais me renvoie à mes propres souvenirs et aussi à mon amie Maria Dubin qui rêve de vivre dans chaque jardin qu’elle croise. Ces derniers jours, son coup de cœur a battu pour un jardin secret en plein milieu de Sidi Bou Said.
Sinon, elle a sublimé au moins deux jardins que la plupart d’entre nous ne connaissent pas. Le premier se trouve à Copenhague où elle vit. C’est un lieu rêvé par Karen Blixen que Maria a investi de ses propres rêves. Le second se trouve à Bab Souika, dans un ancien couvent où l’artiste danoise s’est installée pour quelques semaines.
Ces deux jardins sont le prétexte de sa nouvelle exposition qui commence samedi à la galerie Fahrenheit à Carthage. Hier, elle est venue m’en parler à la radio et nous en avons profité pour nous remémorer quelques moments magiques de notre quart de siècle d’amitié.
Silencieusement, mon jardin japonais me projette au Gorjani, le parc où parfois, mes parents se rendaient en amoureux, pour échapper un peu aux servitudes de la maisonnée. Je me retrouve aussi au Belvédère, avec mes cousins, dans la lumière flottante des dimanches ensoleillés, entre baobabs imaginaires et lianes fantasmées.
Je revois aussi la sérénité du parc qui fait face à l’église Jeanne d’Arc où tant d’amis ont posé pour les photographes, après leurs vœux de nouveaux mariés. Et le jardin Habib Thameur dont les alliées rectilignes et les bassins circulaires ont fait nos bonheurs enfantins. Et le square Mongi Bali avec son chalet de nécessité.
Et les arbres géants du square de l’avenue de la Liberté, déracinés pour une mosquée. Et tant d’autres lieux de verdure, comme des arbres dans la ville bétonnée.
Je quitte le jardin japonais avec des impressions qui m’ont promené entre Tokyo et Osaka, au pied du Fuji Yama et dans les îlots perdus de l’archipel nippon.