Le Festival international du film du Caire (CIFF) a annoncé une nouvelle qui place déjà sa 46ᵉ édition, prévue du 12 au 21 novembre 2025, au cœur de l’actualité cinématographique mondiale. Le cinéaste turc Nuri Bilge Ceylan, l’un des plus grands auteurs du cinéma contemporain, a été choisi pour présider le jury de la compétition internationale.
Considéré comme un maître du cinéma d’auteur, Nuri Bilge Ceylan a bâti une œuvre d’une rare cohérence esthétique et philosophique. Né en 1959 à Istanbul, il a d’abord étudié l’ingénierie électrique avant de se tourner vers la photographie, discipline qui restera au cœur de son approche visuelle. Cette double formation explique en partie la singularité de son style: une rigueur technique héritée de son parcours scientifique, alliée à un sens aigu de la composition picturale, nourri par la photographie et par une profonde culture artistique.
Dès ses premiers courts métrages, Nuri Bilge Ceylan affirme un univers personnel, marqué par une atmosphère contemplative et une mise en scène de la solitude et de l’incommunicabilité. Kasaba (1997), son premier long métrage, révèle déjà cette attention au détail, ce rapport étroit au paysage et à la mémoire familiale. Avec Nuages de mai (1999) et surtout Uzak (2002), il s’impose comme une voix incontournable du cinéma mondial.
Son œuvre explore inlassablement des thèmes universels : la solitude des êtres face au temps, la complexité des rapports familiaux, la confrontation entre la ville et la campagne, mais aussi la place de l’intellectuel dans une société en mutation. Ses personnages, souvent en quête de sens ou de rédemption, évoluent dans des espaces marqués par une beauté mélancolique, entre l’âpreté des paysages anatoliens et l’intimité des intérieurs.
Le parcours de Nuri Bilge Ceylan est intimement lié au Festival de Cannes, où il a été régulièrement couronné. En 2003, son film Uzak (Lointain) reçoit à la fois le Grand Prix et le Prix d’interprétation masculine. En 2008, Les Trois Singes lui vaut le Prix de la mise en scène. Trois ans plus tard, Il était une fois en Anatolie remporte à son tour le Grand Prix, confirmant la puissance de son regard cinématographique. Le sommet arrive en 2014, lorsque Winter Sleep (Sommeil d’hiver) décroche la Palme d’or, consacrant Ceylan parmi les figures incontournables du cinéma mondial. Plus récemment, en 2023, Les Herbes sèches a offert le Prix d’interprétation féminine à Merve Dizdar, preuve de la vitalité et de l’actualité de son œuvre.
Au-delà de ses distinctions, ce qui caractérise Nuri Bilge Ceylan est sa capacité à mêler une introspection profondément philosophique à une dimension esthétique proche de la peinture. Ses plans larges, où la nature devient un personnage à part entière, dialoguent avec les silences et les regards de ses protagonistes. Chaque film est une expérience immersive, qui invite à la méditation et à l’analyse des contradictions humaines.
C’est cette stature internationale qui a convaincu les organisateurs du Festival du Caire. Hussein Fahmy, président du CIFF, a salué ce choix en déclarant : « Le cinéma de Nuri Bilge Ceylan est un étalon d’excellence artistique. Sa sélection en tant que président du jury reflète l’engagement du CIFF à promouvoir un cinéma audacieux et visionnaire, et à positionner Le Caire comme un lieu de rencontre privilégié pour les voix cinématographiques les plus passionnantes du monde. »
Dans le même esprit, Mohamed Tarek, directeur artistique du festival, a insisté sur la cohérence entre la vision de Nuri Bilge Ceylan et la ligne artistique de cette édition : « Les films de Ceylan explorent en profondeur le personnage, le lieu et le temps — des valeurs au cœur de notre programmation cette année. C’est un cinéaste que nous attendions depuis longtemps au Caire, et c’est un honneur de l’accueillir enfin à la tête de notre jury international. Sa présence nourrira un dialogue puissant sur les possibles du cinéma. »
En tant que président du jury, Ceylan aura la tâche de diriger un panel de cinéastes, artistes et professionnels venus du monde entier, chargé de décerner la Pyramide d’or et les principales distinctions de la compétition internationale. La composition complète du jury, ainsi que la sélection officielle des films, sera annoncée dans les prochaines semaines.
L’annonce de cette présidence s’accompagne d’un partenariat inédit entre le Festival du Caire, TESİYAP — l’Association professionnelle des producteurs de télévision et de cinéma, qui représente les principaux producteurs turcs et soutient la croissance de l’industrie audiovisuelle en favorisant les coproductions et la diffusion internationale —, TÜRSAK — la Fondation turque du cinéma et de la culture audiovisuelle, une institution à but non lucratif qui œuvre à la préservation et à la promotion du cinéma turc à travers festivals, semaines de cinéma et événements internationaux —, ainsi que l’ambassade de Turquie en Égypte. Ce partenariat renforcera la présence turque au festival, avec notamment la projection de plusieurs films turcs, la venue d’une délégation de quinze représentants de l’industrie audiovisuelle du pays, et une participation accrue au Cairo Film Market.
Cette coopération illustre le rôle diplomatique que peut jouer le cinéma et souligne la volonté du CIFF de s’ouvrir davantage aux cinémas de la région tout en consolidant ses liens avec l’Europe et l’Asie.
Créé en 1976, le Festival international du film du Caire demeure aujourd’hui le plus ancien et le seul festival compétitif reconnu par la FIAPF dans le monde arabe et en Afrique. Sa longévité témoigne de sa capacité à conjuguer enracinement régional et rayonnement international. Chaque année, il propose une sélection rigoureuse de films venus du monde entier, en accordant une place privilégiée aux découvertes régionales et aux premières mondiales. Ses activités professionnelles, son marché du film et ses événements publics en font un espace de dialogue culturel unique, ancré dans l’histoire de la capitale égyptienne et tourné vers les échanges globaux.
Avec l’arrivée de Nuri Bilge Ceylan à la tête de son jury, la 46ᵉ édition du CIFF s’annonce déjà comme un rendez-vous marquant de l’année cinématographique. Elle promet de croiser les regards, d’élargir les horizons, et de confirmer la place du Caire comme carrefour incontournable des cinémas du monde.
Neïla Driss