Il avait fait du noir sa couleur, de l’impertinence son style, et du verbe une arme élégante. Thierry Ardisson s’est éteint à l’âge de 76 ans, des suites d’un cancer du foie, après plusieurs mois de lutte contre la maladie. Avec lui disparaît une figure singulière de la télévision française, à la fois iconoclaste, érudit et minutieusement mise en scène.
Né le 6 janvier 1949 à Bourganeuf dans la Creuse, élevé à Montpellier, Thierry Ardisson arrive à Paris dans les années 70 avec l’intuition que la communication serait son terrain de jeu. Publicitaire de formation, il conçoit plusieurs slogans devenus cultes, avant de bifurquer vers la télévision où il ne tarde pas à imprimer sa marque.
Dans les années 80, Bains de minuit lui offre ses premiers pas d’animateur. Mais c’est avec Lunettes noires pour nuits blanches et surtout Tout le monde en parle que son style se cristallise : une émission-rituel, un face-à-face frontal, une mise en scène en clair-obscur où l’interview devient un jeu de pouvoir, de séduction et parfois de déstabilisation. Il n’avait pas peur de provoquer, mais cherchait toujours à créer un moment de vérité, même fugace, entre l’invité et lui.
Il écrivait ses questions, montait ses émissions, inventait des dispositifs où les mots étaient aussi importants que les silences. Son émission Salut les Terriens !, plus tard, lui permettra de prolonger ce théâtre télévisuel, en s’entourant de chroniqueurs aussi incisifs que lui. Thierry Ardisson aimait révéler, exagérer, troubler — mais toujours dans un souci de rythme, de dramaturgie, de télévision pensée comme spectacle total.
Producteur exigeant, il fonde ARDIS et s’essaie à de nombreux formats, du documentaire à la fiction. Fasciné par la mort, la mémoire, et l’illusion, il se lance en 2022 dans les interviews de personnalités décédées grâce à la technologie du deepfake, provoquant fascination et malaise. Cette expérimentation tardive était fidèle à son goût pour l’iconoclasme et pour les frontières mouvantes entre réel et représentation.
Malgré son image provocante, il y avait chez lui une forme de mélancolie, souvent perceptible. Lecteur assidu, amateur d’histoire et de littérature, il interrogeait souvent la mort, l’éternité, les traces qu’on laisse. Il disait souvent qu’à la télévision, « tout est faux, sauf les archives ». Il en aura laissé, et non des moindres.
Thierry Ardisson est mort entouré des siens. Il laisse son épouse Audrey Crespo-Mara, ses enfants, et des générations de téléspectateurs marqués par sa voix grave, son regard dissimulé derrière des lunettes noires, et sa manière unique d’incarner la télévision : un art de l’instant, du verbe, et de la mise en scène.
Neïla Driss