L’adoption par le Parlement de la loi autorisant, exceptionnellement, la Banque centrale de Tunisie Ă accorder des facilitĂ©s au profit du trĂ©sor public continue dâalimenter les dĂ©bats entre partisans de cette mesure – ils ne sont pas nombreux – et ceux qui sây opposent. MĂ©rite-elle vraiment tout le dĂ©bat suscitĂ© ?
Les économistes sont sortis, ces derniers temps (ouf), de leur réserve. Ils ont trouvé, enfin, chaussure à leurs pieds afin de sortir de la torpeur des amphithéùtres et du domaine restreint de leurs travaux académiques.
La question dâun financement direct de la BCT au profit de lâEtat, sâil nâa pas fait lâunanimitĂ© auprĂšs de la communautĂ© des Ă©conomistes, il a, au moins, eu le mĂ©rite de la faire rĂ©agir.
Mais il faut prĂ©ciser que les interventions de la plupart des experts dans les mĂ©dias âTV, radios, journaux, sitesâ nâa pas dĂ©passĂ© le cadre thĂ©orique plutĂŽt savant et peu persuasif pour la plĂšbe.
Lâimpression donnĂ©e Ă©tait quâils dĂ©bitaient des cours dâĂ©conomie gĂ©nĂ©rale oĂč la thĂ©orisation le disputait Ă lâabstrait, occultant les solutions pratiques qui interpellent lâEconomie, science sociale par excellence.
Besoin dâargent urgemment !
Quâest-ce qui a poussĂ©, en fait, le gouvernement Hachani Ă solliciter un emprunt direct de la BCT au profit du trĂ©sor public ? Nous nâinventons rien : les recettes publiques actuellement disponibles ne sont pas suffisantes pour rĂ©pondre, durant cette pĂ©riode, aux dĂ©penses publiques. Des dĂ©penses quâon peut scinder en trois catĂ©gories :
1- DĂ©penses en formation brute de capital fixe (FBCF) des administrations publiques, dites investissements publics. Pour faire simple, ils correspondent aux acquisitions d’actifs fixes (corporels ou incorporels) rĂ©alisĂ©es par lâEtat Ă travers ces diffĂ©rentes administrations, y compris les collectivitĂ©s locales.
2- Les dépenses de fonctionnement qui englobent, principalement, les salaires de la fonction publique.
3- Les dĂ©penses dâinvestissement : celles-ci concernent des opĂ©rations en capital qui peuvent prendre la forme de dĂ©penses directes dâinvestissement (acquisitions corporels ou incorporels, travaux neufsâŠ) comme il peut sâagir de remboursements dâemprunts). Nous y sommes, le remboursement dâemprunts, câest justement ce dernier point qui a motivĂ© lâEtat quant Ă solliciter un emprunt direct de la BCT.
La question est en rapport avec une Ă©chĂ©ance extĂ©rieure Ă rembourser courant fĂ©vrier. Elle est de lâordre de 850 millions dâeuros (prĂšs de 2,9 milliards de dinars), une dette contractĂ©e par le gouvernement Chahed en 2017.
Cette sacro-sainte indépendance de la BCT
Nous sommes arrivĂ©s au cĆur de la polĂ©mique. Celle qui stipule que lâEtat nâa pas le droit de financer directement son dĂ©ficit public directement via la BCT, mais doit le faire Ă travers les banques commerciales.
Autrement dit, la BCT emprunte aux banques au taux directeur (dit taux de refinancement), et ces derniĂšres octroient, par la suite, des crĂ©dits Ă lâEtat moyennant, de leur cĂŽtĂ©, un taux quâelles considĂšrent selon lâĂ©chĂ©ance du crĂ©dit.
Ceux qui sâopposent au financement direct estiment que cette opĂ©ration, en plus quâelle enfreigne le principe dâindĂ©pendance de la BCT, risque dâavoir des consĂ©quences sur lâĂ©conomie rĂ©elle, puisque cet argent ne va pas crĂ©er de la richesse, mais il va financer plutĂŽt un emprunt qui est arrivĂ© Ă Ă©chĂ©ance.
Sans doute, sâappuient-ils sur le fait que lâEtat va emprunter directement de la BCT – au taux zĂ©ro – la bagatelle de 7 milliards de dinars au cours de cette pĂ©riode, ce qui peut crĂ©er une spirale inflationniste en lâabsence effective de production.
Si leur raisonnement est somme toute logique, nous comprenons mal comment cette opĂ©ration, si elle est rĂ©alisĂ©e Ă travers les banques, Ă©viterait lâinflation et la dĂ©valorisation du dinar ?
Au contraire, avec les taux quâelles appliquent sur les diffĂ©rents crĂ©dits, y compris ceux de lâEtat, les banques vont accĂ©lĂ©rer lâinflation et affaiblirait, consĂ©quemment, un dinar, dĂ©jĂ mal en point par rapport aux devises Ă©trangĂšres.
Pour rĂ©sumer, cette sacro-sainte indĂ©pendance des Banques centrales – prĂŽnĂ©e par le FMI -, si en apparence, elle prĂ©conise la stabilitĂ© des prix comme principe fondamental, en rĂ©alitĂ© elle cache derriĂšre elle une vision expansionniste du capital, celle de rĂ©compenser les agents qui ont un surplus dâargent au dĂ©triment de ceux qui en ont besoin.
Si le financement direct est conjoncturel et, surtout, gĂ©nĂšre des richesses pour la communautĂ© nationale, on ne voit pas pourquoi les institutions financiĂšres internationales verraient dâun mauvais Ćil cette opĂ©ration.
Si elles le font pour nous avertir du danger que cette opération peut susciter, nous lui conseillons de méditer sur cette citation : « Il y a de la joie dans un danger et du danger dans la joie ».
Chahir CHAKROUN (Tunis-Hebdo du 12/02/2024)

