Les œillères sont des pièces de cuir qui font partie du harnachement des chevaux. Elles vont par deux et recouvrent une partie des yeux et du champ de vision de l’animal.
Les œillères empêchent un cheval de voir derrière lui ou sur les côtés. Par extension, un sens figuré s’est imposé qui laisse entendre qu’avoir des œillères, c’est ne pas voir certaines choses de manière volontaire ou ignorer certaines choses.
Bien entendu, le sens figuré trouve son origine dans l’image des chevaux auxquels on met des œillères pour qu’ils ne puissent voir que droit devant, à l’exclusion de toute autre chose.
Ce que le vote des Tunisiens pour l’élection présidentielle a révélé hier peut être apparenté à une sorte de révolution des œillères du fait d’un électorat qui tourne le dos à un establishment honni.
Hier, beaucoup de Tunisiens ont préféré volontairement porter des œillères plutôt que donner leurs voix à des politiciens de tous bords, disqualifiés par le peuple.
Ces Tunisiens, en attendant les confirmations officielles, ont donné à deux candidats hors establishment leur confiance et mis hors-jeu toute la classe politique ou presque.
Il s’agit clairement d’un vote-sanction, toutefois porté par une abstention inquiétante dont les chiffres concernent la moitié de l’électorat.
Au-delà du vote-sanction, c’est la première fois depuis la Révolution de 2011 que les élus qui restent en compétition ne représentent aucun parti dominant. De manière tout aussi remarquable, c’est la première fois que la Tunisie de Bourguiba est elle aussi hors-jeu sur toute la ligne.
Sans tambours ni trompettes, ce vote du 15 septembre est historique dans la mesure où il induit une sortie progressive du bourguibisme et du parti destourien.
Les islamistes d’Ennahdha vont-ils savoir s’emparer de cette aubaine historique pour avancer davantage leurs pions sur le terrain ? Ce reniement des partis traditionnels par l’électorat va-t-il aussi profiter aux islamistes ? Cette mise sur la touche de tous les autres partis qui se qualifient de modernistes va-t-elle renforcer une nouvelle fois Ennahdha ?
Toutes ces questions se posent en même temps alors que toute la Tunisie semble porter des oeillères qui l’empêchent de voir le parti opposé. Des œillères métaphoriques qui peuvent aussi, lorsqu’elles se déplacent, empêcher de voir devant soi.
Comment ne pas qualifier le vote d’hier d révolutionnaire ? Oui, il l’est surtout en ce qu’il boute hors de Carthage tout candidat de l’establishment et promet le fauteuil de président à un outsider.