Quelques observations en ce début de journée de grève générale dans la fonction publique et le secteur public permettent un premier constat.
Cette grève devrait être très suivie et, sans doute, atteindra-t-elle un taux de participation historique.
De plus, tout devrait se dĂ©rouler dans une ambiance sereine et sans dĂ©bordements. Toutes les prĂ©cautions ont Ă©tĂ© prises – qu’elles soient prĂ©ventives ou qu’elles se dĂ©ploient sur le terrain – aussi bien par les services gouvernementaux compĂ©tents que par le service d’ordre de l’UGTT.
Une première et brève analyse permet d’avancer les points suivants :
1. Personne n’a intĂ©rĂŞt Ă ce que cette grève soit un Ă©chec. En d’autres termes, le succès Ă©clatant de cette grève sera un signe fort pour la prĂ©servation de la notion de service public.
Alors que certains politiciens envisagent la cession d’entreprises publiques ou la rĂ©duction des effectifs de la fonction publique, ce mouvement de grève vient rappeler que les Tunisiens dĂ©fendent ces acquis tout en ayant la conscience et la conviction qu’une rationalisation de leur fonctionnement est nĂ©cessaire.
De plus, ce service public, de l’avis unanime, a constituĂ© la colonne vertĂ©brale du pays en cette pĂ©riode de transition. Lorsqu’en 2011, les institutions avaient vacillĂ©, l’administration avait rĂ©pondu « prĂ©sent » et assurĂ© la continuitĂ© de l’Etat et du service public. Ceci, dans leur ensemble, les Tunisiens ne l’ont pas oubliĂ©.
2. Avec cette grève gĂ©nĂ©rale, l’UGTT ne cherche pas Ă immobiliser le pays. D’abord, la grève ne concerne pas le secteur privĂ© que la Centrale syndicale a choisi de na pas mobiliser. Ensuite, les mots d’ordre sont clairs et, en filigrane, affirment l’attachement du peuple tunisien au service public que certaines sensibilitĂ©s politiques souhaiteraient dĂ©manteler progressivement.
Enfin, la grève du 17 janvier est dans l’esprit des syndicalistes, une riposte populaire aux diktats que cherchent Ă imposer les grands argentiers et bailleurs de fonds Ă l’Ă©conomie tunisienne.
Car, avec cette grève et ce qui la sous-tend, l’UGTT souligne et induit que d’autres voies sont possibles pour retrouver les chemins de la croissance, qu’une Ă©conomie solidaire articulĂ©e sur le service public et la sĂ©curitĂ© sociale reste envisageable en Tunisie et pourrait (ou devrait) constituer un choix de gouvernement.
3. L’UGTT dĂ©fend le pouvoir d’achat fortement Ă©rodĂ© des Tunisiens et rappelle au gouvernement ses responsabilitĂ©s dans la crise Ă©conomique qui frappe le pays de plein fouet.
Quels ont été les choix (ou les non-choix) économiques qui ont mené à cette situation? Qui en assume la responsabilité? Comment y remédier ? En ce sens, la pression insupportable qui a été mise sur la fonction publique avec le recrutement de milliers de personnes est également questionnée.
En effet, ce sont les sensibilitĂ©s politiques au pouvoir qui ont opĂ©rĂ© ces recrutements qui prĂ©conisent aujourd’hui de dĂ©manteler le service public. Cette contradiction flagrante est dĂ©masquĂ©e grâce Ă cette grève qui, rĂ©pĂ©tons-le, vient rĂ©affirmer l’attachement des Tunisiens Ă la continuitĂ© et, lorsqu’il le faut, la consolidation du service public.
4. Cette grève rĂ©vèle Ă©galement l’existence d’une vaste convergence qui pourrait servir de socle Ă l’Ă©mergence raisonnĂ©e d’un mouvement travailliste tunisien qui viendrait apporter la contradiction au libĂ©ralisme sans entraves.
Il va sans dire que cette contradiction est dans l’essence mĂŞme de la vie dĂ©mocratique dont ont Ă©tĂ© frustrĂ©s les Tunisiens par la politique dite du consensus alors qu’il faudrait plutĂ´t la qualifier de politique des connivences.
Cette grève ainsi que l’action de l’UGTT viennent ainsi rappeler l’absence de choix Ă©conomiques chez la grande majoritĂ© des partis politiques et les vues libĂ©rales – par dĂ©faut – qui sous-tendent l’action gouvernementale.
Cette dernière prend en effet pour parole d’Ă©vangile les pĂ©titions de principe libĂ©rales et ne renâcle pas devant les pressions qui lui sont imposĂ©es par ses partenaires de la grande finance internationale.
5. Cette grève gĂ©nĂ©rale, enfin, intervient Ă quelques jours du 73ème anniversaire de l’UGTT et ravive aussi le souvenir d’autres grèves gĂ©nĂ©rales dĂ©cidĂ©es par la Centrale syndicale. Ces coĂŻncidences du calendrier soulignent deux choses.
D’abord, l’UGTT, nĂ©e le 20 janvier 1946, est la doyenne des formations dans notre paysage politique et social. A ce titre, elle possède une lĂ©gitimitĂ© historique incontestable. Ensuite, l’UGTT est forte d’une lĂ©gitimitĂ© dĂ©mocratique tout aussi incontestable ne serait-ce que par son coup de pouce Ă la rĂ©volution tunisienne avec la grève gĂ©nĂ©rale du 14 janvier 2011 et son appui dĂ©cisif au processus du Dialogue national.
Tous ces facteurs conjuguĂ©s permettent d’affirmer que la Centrale syndicale avec cette grève du 17 janvier dĂ©fend non seulement les droits des travailleurs mais maintient son choix stratĂ©gique dans la dĂ©fense de la souverainetĂ© tunisienne dont le socle est le service public que les Tunisiens dĂ©fendent aujourd’hui.
6. En conclusion, cette grève du 17 janvier s’annonce comme un tournant dans la transition dĂ©mocratique car elle replace l’Ă©conomie au centre de l’Ă©chiquier. Ce faisant, l’UGTT Ă©vente les Ă©crans de fumĂ©e qui instrumentalisent l’identitaire pour cacher les dĂ©faillances de gouvernance et faire avancer les pions du libĂ©ralisme.
Qui veut dĂ©structurer le service public et pourquoi? Pour quelles raisons tacites, les gouvernements successifs s’acharnent-ils Ă dĂ©manteler au lieu de construire des alternatives ? Quelles sont les politiques Ă©conomiques les plus aptes Ă nous faire sortir de la crise ?
Toutes ces questions sous-jacentes deviennent cruciales dans le contexte nouveau que crée cette grève générale dont le succès réside aussi dans sa capacité à ouvrir la voie aux questionnements fondamentaux.

