Difficile de saisir toutes les sensations par lesquelles on peut passer lors de ces retrouvailles avec les artistes du cirque.
Car, d’abord, mon histoire avec le cirque se rĂ©sume Ă une seule fois, si lointaine puisqu’elle remonte Ă 1965.
J’Ă©tais enfant, notre Ă©cole nous emmenait pour une sortie au cirque et, la veille, j’Ă©tais parvenu Ă convaincre mon père de me montrer la mĂ©nagerie.
Je ne sais mĂŞme plus oĂą s’Ă©tait installĂ© ce cirque ni d’oĂą il venait. Etait-ce avenue Mohamed V ou plutĂ´t du cĂ´tĂ© du BelvĂ©dère ou Bab El Khadhra ? Je ne sais plus. Je me souviens simplement des animaux en cage et du public qui circulait dans ce zoo improvisĂ© en faisant les cent pas sur un terrain en terre battue.
Je crois qu’Ă l’Ă©poque, Tunis n’avait pas encore son zoo et que c’Ă©tait la première fois que je voyais de près des animaux sauvages, pouvais sentir leur odeur, jauger leur puissance.
Le lendemain de cette sortie Ă la mĂ©nagerie, toute ma classe s’Ă©tait rendue au cirque. En rangs serrĂ©s, sous la conduite d’un surveillant et, probablement avec nos tabliers bleus.
Nous étions tellement fascinés par cette première expérience, par cet univers que nous ne connaissions que par les images que toute cette aventure en ressemblait à un baptême, un chemin initiatique.
A cette Ă©poque, presque personne ne possĂ©dait un tĂ©lĂ©viseur et nos rares sorties au cinĂ©ma se rĂ©sumaient Ă des films de Charlot, les dimanches matin, Ă la Maison Ibn Khaldoun. A l’Ă©cole des Maristes, parfois, la projection d’un film ou la prestation d’un prestidigitateur venaient rompre le quotidien laborieux d’enfants qui avaient entre sept et neuf ans.
L’arrivĂ©e au cirque fut comme un enchantement. Lumières rutilantes, rumeur de la fĂŞte foraine, acclamations des enfants. Les adultes parlaient entre eux des grands cirques de l’Ă©poque: le Cirque Amar, le Cirque Bouglione et aussi le Cirque Orfei qui, par un heureux retour du pendule, nous rend visite pour quelques semaines.
Ensuite, la fĂŞte fut totale, de celles qui vous Ă©puisent, comme les noces avec la mer et le soleil quand l’Ă©tĂ© est de retour, comme un spectacle fascinant dont vos yeux jusqu’au bord de l’âme, ne manqueront pas une miette.
Sinon, les images de ce cirque d’il y a plus de cinquante ans se sont complètement Ă©vanouies dans le carrousel des images, Ă©vaporĂ©es dans les ressacs d’une vie.
Et pourtant, comme par miracle, elles vont resurgir devant le spectacle du Cirque Orfei, avec des corolles d’Ă©motion et une nostalgie intacte. Devant le chapiteau, je suis restĂ© d’abord bĂ©at car les formes me projetaient dans cet idĂ©al du cirque puis cette silhouette absorbĂ©e, j’ai continuĂ© Ă marcher dans la terre battue et les mĂ©andres des galeries qui menaient jusqu’Ă la piste.
Durant le spectacle, les jongleurs succĂ©daient aux acrobates, les clowns chauffaient la salle qui, comme il se devait, Ă©tait pleine d’enfants. Les dompteurs dirigeaient quatre tigres, faisant frissonner l’assistance alors que les chiens savants faisaient leur numĂ©ro dans l’hilaritĂ© gĂ©nĂ©rale.
A fond la caisse, la musique et les acclamations avaient le don de littĂ©ralement vous envoĂ»ter et mille petits cĹ“urs d’enfants battaient Ă l’unisson.
J’ai ri, rĂŞvĂ©, applaudi, frissonnĂ© et admirĂ© le spectacle et les artistes. En les regardant, comme par un dĂ©clic foudroyant, les images de l’enfance sont revenus par rafales. Non pas celles de mon premier cirque mais celles de la tĂ©lĂ©vision qui nous gratifiait presque tous les dimanches du spectacle des artistes et des saltimbanques.
Au fond, grâce au petit écran, nous connaissons par coeur les plus grands cirques du monde et, depuis quelques décennies, nous pouvons en recevoir quelques uns plus modestes.
Je ne sais oĂą ira le Cirque Orfei après son passage Ă Tunis. Il aura en tous cas fait beaucoup d’heureux parmi les grands et les petits. Bien sĂ»r, on peut toujours chipoter, dire que les numĂ©ros n’Ă©taient pas parfaitement au point ou encore qu’il y eut quelques hĂ©sitations.
Mais ce serait de la sorte passer Ă cĂ´tĂ© de la joie et de l’illusion. Car, dans les yeux d’un enfant, peu importe le flacon pourvu qu’il y ait l’ivresse du spectacle.
Que dire dès lors de l’enfant qui renaĂ®t et revit dans le corps et la mĂ©moire d’un adulte ?

