Je reste depuis longtemps surpris que le néologisme « afroméditerranéen » ne soit pas apparu dans notre lexique culturel.
Ce terme serait en effet le pendant parfait à celui entré dans l’usage sous la forme « euroméditerranéen » et qualifiant les relations qui existent entre pays riverains de la Méditerranée.
J’aime ce terme « afroméditerranéen » car il me rappelle d’abord que c’est le nom antique de la Tunisie qui est porté par le continent africain dans son ensemble.
Ensuite, ce terme décrit bien l’ancrage africain du Maghreb qui, lorsqu’on regarde une carte, ressemble à une île entre le Sahara et la Méditerranée.
Bien sûr, le mot « Maghreb » se réfère à l’ancrage également arabe de notre pays, en continuité du Machreq et de la Jazira qui sont les deux autres composantes du monde arabe.
Les termes ne sont jamais neutres: c’est l’histoire qui nous l’apprend. Et lorsqu’on peut être tentés de dire Afrique du nord voire Afrique latine, ce sot autant d’enjeux idéologiques qui sont posés.
Sans entrer dans une discussion byzantine, je trouve aussi que ce terme d’afroméditerranéen nous dissocie plus clairement de cette région MENA que de nouveaux idéologues nous ont imposée ces dernières années.
Cette région MENA (pour Middle East and North Africa, c’est à dire Moyen-Orient et Afrique du nord) est absolument artificielle et fallacieuse.
Elle ne fait que nous plonger dans un environnement hostile et un contexte géopolitique qui ne sont pas fondamentalement les nôtres. Cette vision d’idéologues éloignés de nos réalités et ayant des projets obscurs et inavoués ne fait que nous ligoter dans un Orient de plus en plus compliqué.
Les dernières péripéties vécues dans nos relations avec les Emirats arabes unis ou la récente visite du président turc illustrent parfaitement mon propos. De même, nous pourrions invoquer les ingérences politiques flagrantes d’autres pays du golfe arabe dans notre vie politique, à commencer par le Qatar.
C’est le fait qu’on nous oblige à faire partie de cette région MENA qui a précipité cet activisme de puissances qui se voient plus grosses que ce qu’elles sont en réalité dans notre pays.
Ce qui se passe de nos jours aurait été impensable du temps de Bourguiba qui savait – quasiment par atavisme – que la volonté de puissance de certains Etats arabes ne pourrait que nuire à la Tunisie. De là à nous jeter dans leurs bras arrogants, il n’y avait que quelques pas à faire au mépris des leçons de l’histoire et la géopolitique.
L’espace naturel de la Tunisie, c’est bien la Méditerranée. L’espace économique de la Tunisie, c’est l’Europe, l’Afrique et nos voisins. L’espace culturel de la Tunisie est plus vaste et englobe, au nom de nos identités plurielles, toutes les régions qui contribuent à façonner notre être dans le monde.
Mettez ensemble un pêcheur tunisien et un autre sicilien, ils auront tout en commun. Mettez ensemble un pêcheur catalan et un autre polonais, ils auront peu à se dire. Mettez ensemble un pêcheur koweïtien avec un autre tunisien, ils n’auront presque rien en commun.
Bourguiba aimait expliquer pour souligner la distance relative qui sépare l’Afrique du nord maghrébine et le reste du monde arabe qu’il existe une frontière invisible qui sépare ces deux entités. Il s’agit de la frontière du couscous car à l’est, on se nourrit de riz alors que l’ouest commence avec ce limes du couscous.
Tout cela est à méditer en cette fin d’année qui nous a valu tant de tiraillements et de gestes hostiles de ces frères en religion qui sont si éloignés de nous et pensent que leur argent ou leur activisme frériste sont les clés qui leur ouvriront la Tunisie.
Ils se trompent lourdement. Et même si leurs agents qui agissent à découvert leur affirment que la Tunisie est bonne à prendre, ils devraient revoir leur copie pour deux raisons.
D’abord, ce sont les plus avides et insatiables des Tunisiens qui prennent fait et cause pour ces barons du pétrole et autres dentelles. Et ils en profitent pour les dépouiller.
Ensuite, à l’image des Gaulois d’Astérix, la grande majorité des Tunisiens est franchement irréductible quand il s’agit de s’attaquer à nos modes de vie et nos horizons africains, européens et méditerranéens.
Qu’on se le tienne pour dit et que cette nouvelle année soit enfin celle de l’affirmation de notre Tunisie plurielle contre tous les projets rétrogrades, obscurantistes et dérisoirement marqués de l’empreinte de la vénalité.
Bonne année à toutes et à tous !