Comment ne pas rendre un hommage appuyé à Mongi Majeri qui vient de nous quitter ?
Comment ne pas souligner tout ce que nous devons Ă cet homme d’une discrĂ©tion lĂ©gendaire et au dynamisme sans bornes ?
DĂ©cĂ©dĂ© hier, Mongi Majeri rejoindra aujourd’hui sa dernière demeure au cimetière du Jellaz Ă Tunis. Il laissera dans son sillage le souvenir d’un gentleman et d’un homme curieux de tout, fascinĂ© par la nouveautĂ©.
Aux thermes d’Antonin, le jazz de retour Ă Carthage
Dans nos mĂ©moires, puisqu’il s’Ă©tait retirĂ© depuis quelques annĂ©es de la vie active, Mongi Majeri est insĂ©parable de ses Ă©missions de jazz sur RTCI.
Durant de longues annĂ©es, son « Jazz d’hier et d’aujourd’hui » a rĂ©sonnĂ© sur les ondes de tous les accents du swing, du be bop et des grands orchestres façon fifties.
Ce qui est moins connu du public, c’est toutefois le fait que Majeri Ă©tait le vĂ©ritable fondateur de la tradition jazz Ă Carthage.
Avec sa faconde lĂ©gendaire et son art de vous persuader avec son sourire, il Ă©tait parvenu au dĂ©but des annĂ©es soixante Ă organiser des soirĂ©es jazz dans les Thermes d’Antonin.
Ces soirées de musique contemporaine allaient ensuite se conjuguer au théâtre pour, sous la férule de Chedly Klibi, donner naissance au festival international de Carthage.
Le jazz dans la peau
Mongi Majeri avait rĂ©ussi ce coup de baguette magique en mobilisant ses amis du festival d’Antibes dans le sud de la France.
Ce festival de jazz Ă©tait alors devenu le correspondant de la manifestation carthaginoise naissante. Et le succès viendra avec les annĂ©es… On se demande toujours aujourd’hui comment Carthage avait pu attirer toutes les grosses pointures du jazz international.
C’est bien au dĂ©sir ardent de Majeri que nous le devons, Ă sa grande connaissance du monde du jazz et au fait que cet homme que nous enterrons aujourd’hui Ă©tait littĂ©ralement fou de musique.
L’homme qui aimait la BD
Mongi Majeri, ce n’est pas que cela! c’est Ă travers lui que s’est diffusĂ©e en Tunisie la bande dessinĂ©e dans toute sa splendeur.
Je ne parle pas ici des illustrés qui ont bercé nos enfances mais du mouvement du neuvième art qui avait éclos entre Amérique et Europe après la seconde guerre mondiale.
Mongi Majeri ne ratait jamais une session du festival de bande dessinĂ©e d’AngoulĂŞme en France. Comme un grand gosse, il en revenait chargĂ© de BD new look et en faisait profiter ses amis.
C’est dans cet esprit qu’il a caressĂ© le projet d’une revue de BD qui soit aussi bien tunisienne qu’internationale.
Souvent, il m’avait montrĂ© les planches des premiers numĂ©ros de cette revue rĂŞvĂ©e et partiellement rĂ©alisĂ©e. Souvent, il m’avait Ă©bloui de sa connaissance encyclopĂ©dique dans ce domaine. Souvent, nous feuilletions les mĂŞmes fanzines, les mĂŞmes vieux fasicules de Blek le Roc et les mĂŞmes aventures de Tintin.
Le jardin secret du relieur de livres
Dans son jardin secret, Mongi Majeri Ă©tait relieur. Oui, relieur Ă l’ancienne, avec des presses qui traĂ®naient sur la table de la salle Ă manger et des cartons partout, dans chaque coin et recoin de sa maison qu’il partageait avec les livres.
Ses reliures me reviennent Ă l’esprit aujourd’hui ainsi que l’extrĂŞme patience qu’il investissait dans leur confection.
Il faut le souligner: elles sont impeccables ces reliures et j’en garde une sĂ©rie qui ne me quitte jmais depuis les annĂ©es 1980 lorsque Majeri avait reliĂ© pour votre serviteur rien de moins que l’encyclopĂ©die du cinĂ©ma en douze volumes.
Comme un air de clarinette dans la mémoire
Et puis, il y a ce matin, comme un solo de clarinette qui s’est incrustĂ© en moi. Je ne sais si c’est un air de Sydney Bechet ou une ritournelle de Louis Armstrong.
Ce dont je me souviens, c’est que pour exprimer sa joie de vivre et de voir ses amis rĂ©unis autour de lui, Mongi Majeri ouvrait une armoire secrète, en sortait une clarinette qu’il remontait avec des gestes tendres et prĂ©cis puis se mettait Ă jouer.
C’est un de ces solos, tristes comme le blues et ardents comme le jazz, qui m’accompagne depuis l’annonce de son dĂ©cès.
Salut l’ami, pas d’inquiĂ©tude, ta joie rayonnera, ton souvenir est en nous aussi subtil et aĂ©rien qu’une envolĂ©e jazzy au-dessus du ciel de Carthage…
HB
