Dans plusieurs cas de tortures documentés par l’ACAT et FWB, les policiers mis en cause ont refusé de se rendre aux convocations des juges, notamment à cause de l’article 48 de la loi antiterroriste de 2003 qui empêcherait l’inspection générale de donner l’identité des policiers.
Dans leur rapport du mois de janvier 2015, les deux organisations illustrent ce problème par le cas du meurtre de Meherzia Ben Saad.
Descente de la brigade antiterroriste de la garde nationale de l’Aouina
L’affaire remonte à la nuit du 29 décembre 2012, au cours d’une descente d’agents de la brigade antiterroriste de la garde nationale de l’Aouina. Les agents étaient venus arrêter son mari.
D’après le ministère de l’Intérieur, cette descente a été faite après une consultation du ministère public, suite à des informations indiquant que des membres extrémistes de Douar Hicher, à la Manouba, détenaient des armes et des munitions.
Lors de l’irruption des agents à son domicile, Mehrezia Ben Saad se trouvait dans sa chambre avec son enfant et son époux.
Dans un communiqué du ministère, ce dernier revient en bref sur cette descente précisant que « l’un des membres a pris l’initiative d’attaquer les agents, alors qu’ils étaient à l’intérieur de sa maison, en ouvrant le feu avec une arme de type Kalachnikov, ce qui a obligé les agents à riposter immédiatement. Le résultat était la mort de son épouse et une blessure (de cet homme)… »
« Il n’y a pas eu d’échanges de coups de feu »
Par contre, d’après Sarra Ben Saad, sœur de la victime Mehrezia Ben Saad, « il n’y a pas eu d’échanges de coups de feu ». Pire encore, Omar Ben Najem, le frère de Ridha Ben Najem, le présumé terroriste, affirme qu’il n’y avait même pas eu de saisie d’armes. Il a aussi demandé au ministère « de les montrer » mettant en doute la saisie.
Sarra Ben Saad a aussi affirmé, lors d’une intervention télévisée, que sa sœur a été frappée avant d’être tuée.
L’ACAT et FWB mettent aussi en doute la version du ministère : « les agents ont ouvert le feu sur la famille à travers la porte de la chambre, prétendant ensuite qu’ils ne faisaient que riposter aux coups de feu tirés par le mari à partir de la chambre, version qui est d’ailleurs infirmée par l’absence de douille sur les lieux, » expliquent les deux organisations.
L’impunité assurée par l’article 48 de de la loi antiterroriste
Une enquête a été ouverte pour élucider les circonstances de la mort de la femme, tuée par l’une des balles tirées par les agents.
D’après ACAT et FWB, le juge d’instruction, chargé d’enquêter sur cette mort, a écrit à l’Inspection générale de la garde nationale pour demander l’identité des agents ayant participé à l’opération, ainsi que le rôle de chacun et leurs armes.
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L’inspection générale a répondu que l’article 48 de la loi antiterroriste de 2003 l’empêchait de donner l’identité des policiers, posant ainsi un obstacle insurmontable à la poursuite de l’enquête et assurant une parfaite impunité aux auteurs du meurtre.
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Enquête menée par les « collègues des agents de l’Aouina »…
« L’enquête sur la mort de Mehrezia Ben Saad a d’abord été confiée à un juge d’instruction du TPI de Tunis. Cependant ce dernier s’en est dessaisi au profit du tribunal de la Manouba près du lieu de l’incident. Ensuite, le juge d’instruction de la Manouba s’est lui aussi dessaisi au profit du TPI de Tunis au motif que la descente au domicile de la victime avait été ordonnée par un confrère de Tunis », précise le rapport.
« Le TPI de Tunis niant à nouveau sa compétence, la Cour de cassation a dû être saisie et a finalement confié l’enquête au TPI de la Manouba. Le magistrat instructeur désigné au sein de ce tribunal a tenté de se dessaisir pour la énième fois au profit du TPI de Tunis, mais sans succès ».
Toutes ces demandes de dessaisissement semblent témoigner d’un certain malaise, voire d’une crainte des différents magistrats face à une enquête sensible impliquant des agents très protégés de la brigade antiterroriste.
Le magistrat a donné commission rogatoire à la garde nationale de L’Aouina pour l’assister dans son enquête, c’est-à-dire aux collègues des agents de la brigade antiterroriste de la garde nationale faisant l’objet de l’enquête, alertent les deux organisations.
D’après Imen Triki, de Liberté et Equité, il est « inconcevable que l’adversaire dans cette affaire soit lui-même partie prenante de l’enquête ». FWB et l’ACAT confirment aussi les constatations de Mme Trki.
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En général et comme le veut le bon sens, les enquêtes concernant des agents de la garde nationale sont confiées à la police et inversement. Le juge d’instruction a demandé aux enquêteurs d’effectuer une expertise pour déterminer la trajectoire des balles. L’expertise a été faite mais le rapport final s’est seulement prononcé sur l’origine du sang dans la chambre, se gardant ainsi de donner des conclusions pouvant être en la défaveur des agents de la garde nationale qui ont mené l’attaque.
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Meherzia Ben Saad était mère de deux enfants, l’un avait un an et neuf mois et le deuxième deux mois. Leur père, Ridha Ben Najem, est aujourd’hui poursuivi en justice, d’après l’avocat Hafedh Ghadhoun, de FWB, et ce pour appartenance à une organisation terroriste, fourniture d’armes, entrainement de terroristes et appel à commettre des actes terroristes.