La semaine passée a été terrifiante en Syrie où les combats entre insurgés et unités militaires loyalistes ont gagné énormément en intensité. Ils se sont propagés aussi bien aux faubourgs sud de Damas, qu’à certains quartiers huppés du centre-ville et cela après avoir éclaté en force, pour la première fois à Alep, la grande ville économique du pays.
Ces offensives sans précédent de la part des guérilleros, qui se sont déjà emparés de plusieurs régions du pays et de postes frontaliers, aussi bien avec l’Irak qu’avec la Turquie, ont coïncidé —fait calculé ou fortuit ?— avec l’hécatombe qu’a connue, mercredi passé, le régime.
Effectivement, à la surprise quasi générale, une attaque à la bombe a été perpétrée dans le Saint des Saints de l’appareil sécuritaire de l’État, juste à quelques encablures du palais présidentiel. Cet attentat rappelant celui subi par Hitler le 20 juillet 1944, sous l’Allemagne nazie, a coûté la vie à tout le haut staff de la répression contre le peuple syrien dont le ministre de la Défense et son adjoint, beau-frère de Bachar et son éminence grise ainsi qu’un de ses cousins, responsable des renseignements. On parle même de l’état critique du ministre de l’Intérieur, gravement touché dans les mêmes circonstances.
Le tableau est d’autant plus sombre pour les Alaouites (10 % seulement de la population) que les défections de personnalités bien en vue se sont multipliées, quelques jours auparavant. Il y a celle du général Tlass (réfugié à Paris), ami d’enfance de Bachar et dont il est resté si proche. Il y a, aussi, celle de l’ambassadeur syrien à Baghdad, chef tribal de renom. De hauts gradés de tous rangs dont 25 généraux se sont réfugiés en Turquie, jusqu’à maintenant. Ne parlons pas des hommes de troupe !
Autant d’événements cruciaux, voire fatals, ne peuvent qu’ébranler au tréfonds un régime qui, seize mois après le début de l’insurrection, ne parvient nullement à maîtriser la situation dans le pays où l’effusion du sang se répand partout. Les insurgés semblent avoir, finalement, acquis du matériel adéquat, si indispensable pour la chasse des tanks et des hélicoptères. Par ailleurs, les révolutionnaires sont mieux organisés que par le passé. Ils donnent, dorénavant, l’impression d’avoir assimilé les techniques de la guérilla urbaine et des batailles de rues.
Le réarmement efficient des insurgés est-il arrivé en retard, alors que les affrontements en sont à leur seizième mois, faisant dans l’ensemble près de 19 milles tués, dont des moujahidine étrangers ? Certainement ! Et cela, par crainte de la part des États-Unis de voir des armes sophistiquées, genre Stringer, tomber entre les mains d’«indésirables», entre autres des éléments d’Al-Qaïda. Du reste, le locataire de la Maison-Blanche, absorbé par la campagne de sa réélection, ne tient pas à se «mouiller» outre mesure dans la révolution syrienne appelée à perdurer. Il a légué cette tâche, entre autres, à l’Arabie Saoudite, au Qatar et à la Turquie. Cela évitera à Obama d’entrer directement en conflit diplomatique conséquent avec les irréductibles alliés de Bachar Al-Assad que sont les maîtres de Moscou et de Pékin. Ceux-ci, pour des considérations géostratégiques majeures, ne cessent, à coups de veto répétés, de faire échec à toute résolution onusienne condamnant le régime de Damas ou de permettre de sauver les populations civiles meurtries. Les Sino-Russes craignent fort qu’avec l’éventuelle chute de la maison alaouite en Syrie, ils ne soient les grands perdants du fait que la voracité de l’Occident sera, alors, sans limites aussi bien dans le Golfe Persique qu’en Asie… Car, après la Syrie viendra automatiquement le tour de tenter de fragiliser l’Iran et de pousser à le provoquer, afin d’en finir avec l’axe Téhéran-Damas-Hezbollah si redouter.
Maintenant que le cœur de la machine de mort d’Al Assad a été touché, un coup sans précédent certes, que peut-on prévoir à moyen terme pour une Syrie partiellement détruite à coups de canon et vidée de sa population réfugiée en trombe aussi bien au Liban qu’en Irak et qu’en Turquie ? Le régime hérité par Bachar a ses irréductibles. Comme ils sont issus d’une minorité chiite dans le pays où ils tiennent ou tenaient les leviers de commande, ils ne lâcheront pas facilement et de sitôt le «morceau», quitte à recourir aux armes de destruction massive et cela de crainte d’être lynchés en cas de nette victoire des insurgés sunnites. Saddam Hussein n’a-t-il pas fait outrageusement usage d’armes chimiques contre «ses» Kurdes ?
Toutefois, dans le cas où le tandem Pékin-Moscou l’admettra, il peut y avoir recours, pour solutionner le conflit syrien, qui risque de causer à jamais l’irréparable, à une approche du type qu’a connue la transition du pouvoir au Yémen. C’est-à-dire une abdication analogue à celle de Abdallah Ali Saleh, malgré les mille soubresauts meurtriers qui ont précédé sa «relève» planifiée et longuement négociée. Dans le pire des cas et vu l’importance des forces fidèles dont il dispose encore et de crainte de représailles post-révolution, Bachar Al-Assad et sa tribu finiront, alors, par se retirer dans un micro-Etat à 100 % alaouite. Ce sera au bord de la Méditerranée, probablement dans son fief familial entre Tartous, devenu garnison russe, et Lattaquié. Il s’agirait là, à la grande joie d’Israël, d’un partage à haut risque du pays !
M’HAMED BEN YOUSSEF