En 1956, Zine el Abidine Ben Ali et Habib Ammar ont fait ensemble l’école militaire de Saint-Cyr en France, lors d’un stage accéléré réservé uniquement aux Tunisiens. Tous deux logeaient dans la même chambre.
L’un est de Sousse, issu d’une famille bourgeoise appauvrie (le grand-père de Ammar était mufti), l’autre relève d’un milieu rural modeste de Hammam-Sousse et vivait au sein d’un nombre fort élevé de frères et de sœurs. Mais ni l’un ni l’autre ne se connaissaient avant leur engagement dans l’Armée Nationale !
De retour au bercail et opportuniste à souhait, Ben Ali a été placé à la tête du 4ème Bureau, celui des renseignements généraux. Là, il a vite gravi les échelons grâce à l’appui du Chef d’État-major de l’époque, le colonel Kéfi dont notre fuyard, par calcul, épousa la fille, et la répudia, une fois devenu président…
Ben Ali passa toute sa carrière militaire dans un bureau à la Kasbah. Par contre, Habib Ammar, au contraire, était, lui, un homme de terrain qui a servi dans plus d’une unité dont le Centre préparatoire aux Grandes Ecoles militaires (C.P.G.E.M.) dont je suis issu. Il a été aussi dépêché dans des unités d’intervention dans plusieurs pays africains.
Par ailleurs, il a été aussi chargé de missions spéciales dans le continent noir. Il s’y rendait pour fournir du matériel militaire aux différents mouvements de libération nationale comme c’était le cas, entre autres, en Afrique du Sud.
Quelques années avant le changement à la tête de notre pays en 1987, Habib Ammar, alors commandant de la garnison du Sud, s’est lié d’amitié avec Mezri Chkir, directeur du cabinet et cousin du Premier ministre, Mohamed Mzali.
C’est ainsi que le général Habib Ammar a bénéficié de beaucoup de considération et d’une promotion spéciale en tant qu’attaché militaire à Rabat, poste très envié.
C’est à partir de là, quelques mois plus tard, que Mezri Chkir, qui avait l’oreille du Premier ministre, fit appel à lui pour diriger la Garde Nationale. À vrai dire, il s’agissait de contrecarrer les ambitions d’un Ben Ali bien trop prévisibles. Du reste, ce dernier ne s’entendait pas du tout avec Mohamed Mzali, le Premier ministre.
Habib Ammar réorganisa la Garde Nationale de façon à en faire une véritable petite armée indépendante disposant d’hommes valeureux, de blindés à canons montés sur roues (les A.M. britanniques) et de divers services sociaux.
Pour l’anecdote, la colonne de blindés, le soir du 6 novembre, se serait trompé de route et aurait pris la direction de Tunis-ville au lieu de celle de Carthage. Et il a fallu faire rectifier sa destination.
Mzali qui ne s’entendait pas du tout avec le directeur de la Sureté nationale, Ben Ali, croyait avoir trouvé un rempart en Habib Ammar pour contrecarrer, un tant soit peu, les ambitions démesurées de Ben Ali.
Mal lui en a pris ! Car dès que notre fuyard fut nommé ministre de l’Intérieur, Habib Ammar, sentant le vent tourner, s’est vite réconcilié avec son frère d’armes et son supérieur hiérarchique.
C’était devenu un tandem redoutable ! Et je vous avoue en mon âme et conscience que connaissant de près les visées réelles des deux hommes (j’ai servi sous les ordres du capitaine Ammar), je n’ai pas cessé de répandre autour de moi «qu’il fallait s’attendre à un coup tordu de la part de cette paire…»
Une fois le putsch médical réussi, dans lequel Habib Ammar fut l’acteur principal, ce dernier a connu sa première déception dès le 7 novembre 1987. Il croyait que son co-équipier putschiste allait le nommer Premier ministre, charge octroyée sans mérite aucun à Hédi Baccouche.
Pourtant, celui-ci n’a nullement pris une part active dans le changement. Bien au contraire !
Habib Ammar m’a avoué, il y a quelque temps, que «Hédi Baccouche m’a contacté quand il a appris que j’éditais mon autobiographie. Il voulait que je le mentionne en bien en parlant de lui.
Ce que j’ai refusé, catégoriquement, car M. Baccouche n’était absolument pour rien dans le «changement» du 7 nombre 1987». Il s’est rendu, en dernier lieu, au ministère de l’Intérieur et cela sous la menace directe de Ben Ali.
Il aurait été le septième, la veille du 7 novembre, à accéder au ministère de l’Intérieur. Par ailleurs, il n’a nullement daigné, cette nuit là notons-le, répondre aux coups de fil de l’émissaire de Ben Ali.
Et c’est ce dernier, en personne, qui l’a averti, solennellement, des conséquences de son éventuel refus de se déplacer au ministère de l’Intérieur. «Ici, le Premier ministre en personne, on t’attend de suite…», lui lança-t-il. C’est alors que Hédi Baccouche, un néo-destourien au bon teint doublé d’un «Bensalhiste» sans réserve aucune et grand pilier de la scandaleuse promotion des coopératives, a daigné franchir le seuil de l’immeuble du ministère de l’Intérieur.
Toutefois, il a rédigé le message radio diffusé du 7 novembre à destination du peuple tunisien ; une allocution où il nous promettait, à tort ou à raison, mille merveilles dont la liberté d’expression qu’on n’a jamais «goûtée» trente ans durant, sous Bourguiba. Il s’agit d’une annonce «mielleuse» truffée de nombreuses promesses, de véritables leurres de ZABA.
Et si Baccouche a été parachuté Premier ministre, à l’époque à la place du Dr. Hamed Karoui – auquel Ben Ali avait pensé en premier – c’est parce qu’il avait des affinités avec les dirigeants algériens. Ces derniers ont, du reste, décoré, il y a quelques années, Hédi Baccouche à leur ambassade à Tunis pour services rendus à la cause algérienne, alors qu’il était étudiant à Paris.
Il transportait, régulièrement à Bruxelles, des valises pleines de billets de banques récoltés auprès des importantes communautés algériennes vivant en France et destinées au FLN.
Ben Ali, fort prévoyant, tenait à neutraliser les dirigeants algériens de toute intervention dans la République naissante.
A noter qu’à chaque visite, au Palais de Carthage, Hédi Baccouche trouvait Habib Ammar attablé autour du bureau présidentiel avec son ami «Zine». Quand il quittait l’audience et qu’il leur tournait le dos, la paire Ben Ali-Ammar plaisantait à propos de son audience…
Un jour, il a fallu que l’un des conseillers et ami du Premier ministre répande partout, à qui voulait bien l’entendre, quelque chose du genre «si Ben Ali est les jambes, Hédi Baccouche est la tête pensante du pays». C’était la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Et Hédi Baccouche fut remercié du gouvernement au profit du Dr. Hamed Karoui auquel notre fuyard aurait pensé en premier lieu avant de se raviser.
M’hamed BEN YOUSSEF
Tunis-Hebdo du 22/10/2018