Journée historique donc que ce mardi 13 décembre ! Sur la belle esplanade du palais de Carthage, la passation du pouvoir est inédite, émouvante, solennelle, sans précédent dans la courte histoire moderne de la Tunisie qui voit ainsi l’intronisation de son 4ème Président de la République. Pour la première fois, nous avons un chef d’État élu démocratiquement, par le peuple ? Oui, mais par l’entremise d’un scrutin indirect. Cependant un bémol qui indispose : Moncef Marzouki était le seul candidat à la plus haute instance du pays ! On aurait préféré que cette élection soit plurielle, question de symbole, cala va sans dire !
Le symbole, nous savons qu’il pèse de tout son poids dans ce genre de cérémonie exceptionnelle où le moindre des détails compte. De tous les symboles qui ont ponctué cette journée historique, celui qui a focalisé l’attention, c’est évidemment le costume que le tout récent Président élu a choisi pour le plus beau jour da sa vie. Rêve caressé, dit-on depuis sa tendre enfance, ambition souvent martelée, idéal tellement convoité qu’une expression comme « Carthage vaut bien une messe » ne serait pas de l’ordre de la boutade exagérée pour évoquer ce rêve enfin réalisé. Au prix de concessions que les plus crédules n’auraient pas soupçonnées un instant.
Que faut-il donc lire dans ce costume présidentiel, qui ne sied pas à la stature d’un Président de la République ? Nous le savons : un vêtement sert à se vêtir, mais un vêtement a surtout une signification. Pour son investiture, le docteur Moncef Marzouki portait un costume bleu, plutôt modeste sous lequel on entrevoit une chemise blanche, sans éclat, mal amidonnée si l’on en juge par le col légèrement froissé, le tout drapé dans un cap (un burnous) miel qui rappelle l’accoutrement du terroir dont ses aïeux sont issus. L’inélégance du costume comme un tout de signification se donne à lire comme un signe de modestie, laquelle modestie se voulant la preuve tangible de son ancrage populaire. Le refus de la cravate achève l’intention d’un homme qui n’a de cesse de rappeler ses origines, sa volonté de demeurer proche du peuple. Tout se passe comme si porter la cravate, renoncer au manteau classique en cachemire (attributs classiques des hommes d’État) pouvait être interprété comme une espèce de trahison des origines. Tant il est vrai que le caractère soyeux du manteau occidental s’oppose radicalement à l’aspect rugueux du burnous oriental. Au total une redondance de signes qui fabriquent l’image, le mythe d’un président du peuple. Le plus frappant, c’est que pour notre nouveau Président, le côté populaire ne semble guère s’accommoder du souci esthétique. Opération de « com », comme on dit aujourd’hui, ou simple histoire de goût, de culture ? Allez savoir !
À l’évidence, et au rythme où vont les choses, la Tunisie nouvelle semble marquer sa «révolution » et son « évolution » par le paraître vestimentaire. Les adeptes du niqab, appuyées par des nababs nébuleux, font des siennes à la faculté des lettres de La Manouba. Au mépris des règles pédagogiques et académiques fondamentales. Elles viennent d’avoir un autre soutien, plus symbolique : celui du président de la République. Dans son discours inaugural, l’appel à la protection, au respect des voilées et des « mounaqabettes » sonne comme un soutien sans équivoque à une minorité violente. Premiers échos d’une voix populiste, vraisemblablement soufflée par des siffleurs nahdhaouis. Au grand dam des universitaires désappointés et empêchés d’exercer leur fonction, et dont la voix demeure inaudible au locataire provisoire du palais de Carthage. Un Président qui va devoir désormais s’habituer à se réveiller au rythme des vagues harmoniques de Carthage. Et à se voir servir le petit déjeuner en face de la baie de Tunis. Peut-on rêver un meilleur décor pour une méditation sur le sort du peuple ! C’est peut-être cela un Président populaire !