Dans un communiqué, publié le 5 mai 2012 et auquel on s’attendait le moins, la commission des confiscations des biens mal acquis, créée en vertu du décret 2011-13 du 14 mars 2011 appelle les personnes corrompues à déclarer les biens meubles et immeubles mal acquis pour permettre leur confiscation dans le cadre des dispositions de ce décret-loi. La commission a prévu les modalités de la déclaration (lettre recommandée ou déposition), fixé un délai pour sa présentation (30 jours) et garanti la confidentialité (comme s’il s’agissait d’une dérogation).
Ce communiqué risque de tomber dans l’oreille de sourds, s’agissant de personnes corrompues qui n’ont ni foi ni loi, et donc ni honneur ni conscience. Il ne faut surtout pas compter sur leur repentir pour les voir se bousculer au portillon et redonner à la Tunisie et aux Tunisiens les biens qu’ils ont frauduleusement acquis. Déjà, plusieurs parmi eux, surtout des hommes d’affaires et des proches du président, continuent de mener la belle vie, de profiter et d’exercer normalement leur business sans être inquiétés. L’argument souvent invoqué pour justifier cette anomalie est l’absence de preuves à leur encontre. Mais doit-on espérer obtenir ces preuves à travers une déclaration spontanée de la part de personnes suspectées dont certains sont en fuite à l’étranger ?
L’objet de cette déclaration est de présenter un état des biens meubles et immeubles mal acquis susceptibles de confiscation comme si l’objet du décret était limité à ces biens. Or, l’article 1er du décret-loi, dans sa rédaction officielle, ne fait pas de distinction entre biens mal acquis et biens correctement acquis. Selon cet article « sont expropriés au profit de l’Etat les biens acquis par le Président déchu à partir de 1987, son épouse et les autres personnes citées dans le décret». En termes beaucoup plus simples, tous les biens appartenant aux personnes visées sont susceptibles d’expropriation. Toute autre interprétation de ces dispositions ne peut être qu’illégale.
Certains peuvent penser qu’une expropriation injustifiée et une confiscation infondée représentent une atteinte au droit de la propriété et que de ce fait, limiter le domaine d’application du décret-loi aux biens mal acquis est une façon de rectifier le tir. Néanmoins, une instance administrative ou judiciaire ne peut pas de son propre chef modifier les termes d’une loi ou les appliquer à sa guise et ce, quel que soit le degré d’inconstitutionnalité relevé.
D’un autre côté, rien n’interdit de procéder à une confiscation à titre conservatoire et préventif et d’accorder au suspect la possibilité de s’opposer en prouvant que les biens confisqués ont été régulièrement acquis. Cette solution que l’on peut parfaitement adopter en Tunisie, moyennant l’amendement du décret-loi du 14 mars 2011 ne sera pas une tare législative puisque en Suisse et au Canada des dispositions dans ce sens viennent d’être promulguées dans le domaine de la lutte contre la corruption.
Quant à la dernière démarche de la commission des confiscations qui table sur une prise de conscience de la part des suspects, elle ne peut pas conduire loin sauf à créer davantage de problèmes juridiques. En effet, le communiqué prévoit un délai de 30 jours à dater de sa publication pour la réception de la déclaration spontanée. En respectant ce délai, le déclarant ne sera pas traduit en justice pour les crimes qu’ils auraient pu commettre et la confiscation sera limitée aux biens mal acquis. Ainsi, la commission leur promet une sorte d’amnistie alors que dans la loi il n’est pas de son ressort de décider s’il y a lieu ou non de dénoncer les suspects, et s’engage à n’appliquer le décret-loi que pour la partie des biens mal acquis alors que l’article 1er de ce décret ne fait pas la différence entre biens mal acquis et autres. La nouveauté du décret est d’avoir mis en garde contre le refus de déclaration qui s’exposent à (tenez-vous bien !) l’application des mesures d’expropriation.
Plutôt que chercher la solution à travers l’incitation à l’auto-dénonciation, la commission ne devait-elle pas multiplier les investigations et doubler d’efforts pour localiser les biens des suspects et les confisquer sans chercher à savoir s’ils ont été ou non mal acquis ?