Un rapport de la Banque Mondiale met à nu la manipulation de la règlementation par l’ancien régime ce qui a facilité l’enrichissement du clan Ben Ali. Grâce à ce système, d’ailleurs toujours en vigueur, l’ancien président et toute sa famille ont pu mettre la main sur plus de 21% des bénéfices réalisés par le secteur privé dans le pays. L’étude de la Banque Mondiale vient comme un mea-culpa.
Dans cette étude, la Banque Mondiale admet que l’ancien régime, c’est-à-dire les familles Ben Ali, Trabelsi et d’autres familles satellites, s’est servi de la réglementation en vigueur et a créé de nouvelles lois pour servir les intérêts de la famille de l’ex-président et des proches du régime.
Selon la «nouvelle» étude menée par des chercheurs de la Banque mondiale, la réglementation a été manipulée au point que ce groupe de privilégiés avait la mainmise, à la fin de 2010, sur plus de 21% des bénéfices réalisés par le secteur privé dans le pays et ce, grâce à une règlementation qui protégeait ses intérêts de la concurrence.
Toujours selon cette étude intitulée «All in the Family, State Capture in Tunisia», le clan Ben Ali a investi dans des secteurs lucratifs dont l’accès était protégé, principalement par un système d’autorisations préalables et le recours aux pouvoirs exécutifs pour modifier la législation en faveur du régime, créant ainsi un système à grande échelle de capitalisme de copinage.
Les auteurs ont établi une base de données unique portant sur 220 entreprises liées à Ben Ali et recensées par la commission de confiscation créée peu de temps après le soulèvement de 2011 afin de recenser et de confisquer les biens appartenant aux proches de l’ancien président Ben Ali. L’analyse des données de la commission révèle que les entreprises étudiées étaient étroitement liées à la famille de l’ancien président.
La «Famille» était présente dans quasiment tous les secteurs d’activités et la part de marché d’une société détenue par le clan Ben Ali était ainsi en moyenne 6,3% plus importante que celle d’une société concurrente, indiquent les expertises des comptes des 220 entreprises contrôlées alors par le régime.
La Tunisie de Ben Ali,
un mirage
Lors de ses 17 dernières années de pouvoir, Ben Ali a promulgué 25 décrets afin de mettre à jour les exigences d’autorisation préalable dans 45 secteurs différents et de nouvelles restrictions en matière d’investissements directs étrangers (IDE) dans 28 secteurs. Derrière l’écran d’une législation remodelée en sa faveur et agissant surtout pour promouvoir les intérêts du clan et les protéger de la concurrence, les entreprises des proches du régime s’assuraient de 20% des bénéfices du secteur privé.
«Cette étude apporte une confirmation irréfutable que l’ancien régime a bénéficié du capitalisme de copinage», remarque Bob Rijkers, chercheur au Département de la recherche de la Banque mondiale et auteur principal de l’étude. «Nous démontrons que l’action interventionniste de l’État dans le secteur industriel profitait à la famille du président et servait en fait à camoufler un système de rentes. Il est en effet prouvé que l’État a permis aux membres du régime à la recherche de rentes d’accaparer une partie importante du secteur privé en mettant les entreprises proches de la famille à l’abri de la réglementation en vigueur ou en leur octroyant des avantages particuliers. Plus pernicieux encore, nous avons la preuve que les règlements ont été aménagés pour servir des intérêts personnels et favoriser la corruption».
Selon l’étude, l’ouverture du cadre règlementaire du pays portant sur l’investissement prive n’était qu’apparent et l’attitude favorable de l’ancien régime à l’égard du développement du secteur privé cachait les pratiques discriminatoire et les problèmes sous-jacents de l’économie tunisienne. L’ouverture de la Tunisie a été en grande partie un mirage, de vastes pans de l’économie étant fermés et nombre d’entre eux étant aux mains d’intérêts proches du régime.
La Banque mondiale elle-même comme le Fonds monétaire international (FMI), ont ainsi souvent érigé la Tunisie et ses taux de croissance flatteurs comme un « modèle pour les autres pays en développement », admet le rapport, tout en reconnaissant que le système souffrait pourtant « de graves défauts » dont la corruption.
Un système inchangé
3 ans après la Révolution
«Le problème du capitalisme de copinage ne concerne pas seulement Ben Ali et son clan : il demeure l’un des principaux problèmes de développement auxquels la Tunisie est confrontée aujourd’hui», commente l’économiste de la Banque mondiale Antonio Nucifora, économiste principal pour la Région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA). «Trois ans après la révolution, le système économique qui existait sous Ben Ali n’a pas changé de façon significative. À la faveur de la révolution, les Tunisiens se sont débarrassés de l’ex-président Ben Ali et des pires aspects de la corruption, mais les politiques économiques restent largement intactes et sujettes à des abus. Le cadre de politiques publiques hérité de l’ère Ben Ali perpétue l’exclusion sociale et favorise la corruption».
Le rapport rappelle que 550 propriétés immobilières, 48 bateaux et yachts, 367 comptes bancaires et près de 400 entreprises appartenant au clan Ben Ali ont été confisquées.