Hier, au centre-ville de Tunis, quelques centaines de Tunisiens ont créé l’Ă©vènement : une sĂ©ance de lecture collective, qui a transformĂ© l’avenue en une immense bibliothèque Ă ciel ouvert. Des jeunes et des moins jeunes, des lycĂ©ens, des fonctionnaires, des retraitĂ©s et des enfants, munis de leurs livres, ont pris d’assaut les marches du théâtre municipal, les terrasses de cafĂ©s et les trottoirs de la cĂ©lèbre avenue.
Une ambiance bon enfant, la prĂ©sence policière s’est faite discrète. Assis, debout, adossĂ©s les uns aux autres, des gens Ă©taient coupĂ©s du monde, absorbĂ©s par leur lecture …Un spectacle jamais vu en Tunisie.
La librairie Al kitab, l’une des rares librairies qui ont pignon sur rue, a contribuĂ© Ă sa façon Ă cet Ă©vènement, en amĂ©nageant un espace de lecture (nattes, tables basses et boissons gazeuses), et en faisant une promotion sur les livres.
Au dĂ©part, cette initiative a Ă©tĂ© mise en place pour contourner l’interdiction de manifester sur l’avenue. Elle a Ă©tĂ© maintenue malgrĂ© la levĂ©e de l’interdiction. Ses initiateurs ont tenu Ă faire passer plus d’un message : montrer que les Tunisiens aiment la lecture, mĂŞme s’ils ne lisent pas assez, et par la mĂŞme, les inciter Ă lire encore plus, donner une image des Tunisiens, autre que celle que l’on veut donner d’eux ; s’ouvrir au monde par le biais de la lecture et refuser toute forme de renfermement et d’obscurantisme.
Et l’idĂ©e a fait son chemin. Pendant plus de deux heures et jusqu’Ă la tombĂ©e de la nuit, des gens continuaient Ă lire Ă la lueur des bougies. Chacun son style, son genre littĂ©raire, Coelho et Musso cĂ´toyaient Rousseau et Baudelaire. Le sacrĂ© et le profane ont pu coexister l’espace de quelques heures.
Ce qui Ă©tait remarquable, c’est que la majoritĂ© des lecteurs Ă©taient des jeunes, et qu’ils lisaient en plusieurs langues. Le nombre de femmes qui ont participĂ© Ă cette manifestation culturelle Ă©tait lĂ©gèrement plus Ă©levĂ© que celui des hommes. La prĂ©sence d’enfants aussi est Ă saluer. Des parents sont venus avec leurs bouts de choux pour leur faire lire des contes.
Ă€ noter aussi que plusieurs personnes lisaient « politique « . En effet, dans la conjoncture actuelle, des jeunes veulent savoir un peu plus sur le fanatisme religieux, sur l’histoire du monde arabe, sur les percepts de l’Islam, sur les mouvements de libĂ©ration dans le monde …
Une vraie rĂ©ussite, malgrĂ© les critiques et le dĂ©nigrement qui ont fusĂ© par ci par lĂ , car pour certains, cette initiative Ă©tait de la simple frime, une occasion de plus pour les « bobos » d’afficher leur intĂ©rĂŞt pour la lecture, de « faire les « intellos ». Il y en a mĂŞme qui sont allĂ©s jusqu’Ă dire que le peuple tunisien avait d’autres nĂ©cessitĂ©s, beaucoup plus urgentes que la lecture !
Une initiative Ă renouveler, avec peut-ĂŞtre beaucoup plus d’implication de la part des maisons d’Ă©dition et des librairies, car, il ne va pas sans dire que le livre reste inaccessible Ă une grande tranche de Tunisiens.
Dans un pays oĂą les statistiques montrent que 23% des Tunisiens n’ont jamais lu un seul livre, dans un contexte sociopolitique qui tend vers la langue unique, voire la pensĂ©e unique, certains pensent que la lecture est leur seule arme, et on ne peut qu’encourager leur dĂ©marche.
