Les secrets des vieux hammams

Les secrets des vieux hammams
Chroniques
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Parfois, souvent, devrais-je dire, mes pas me mènent dans la médina de Tunis, aux quatre coins d’une ville que je ne cesse d’arpenter. Comme pour me convaincre une fois pour toutes de son caractère infini, comme pour accepter une réalité aussi sèche que simple : une vie, une simple vie, ne suffira jamais pour percer tous les secrets de mon Tunis, pour investir toutes les venelles de mes médinas topographiques et secrètes, pour prétendre effleurer le véritable savoir… «Ancora Imparo», la sentence de Michel-Ange qui, à 84 ans, affirmait toujours désirer apprendre, m’aura toujours accompagné dans ces pérégrinations tunisoises sans autre but que celui de retrouver des sensations subrepticement vécues et capturer des instants furtifs, insaisissables. C’est ainsi que la rue Hammam Remimi m’a toujours troublé. Elle mène comme un long corridor de Bab Souika à Bab el Khadhra et intrigue à cause de deux hammams qui portent le même nom et, pour les riverains, de pères en fils, de mères en filles, se disputent une origine andalouse. Venu d’Almeria, il fonde un hammam en 1245. Lequel est le véritable hammam Remimi ? Celui qui porte une plaque signalant sa fondation en 1245 et se trouve à l’orée de la rue qui porte son nom ? Ou bien celui plus anonyme qui se trouve non loin, rue Al Daouara, et lui dispute son origine ? Cette affaire de minarets que ne dédaigneraient pas les clochers aragonais ou sévillans a commencé avec l’arrivée en Tunisie de Mohamed Remimi, venu au temps des Hafsides à la tête d’un groupe qui avait quitté Almeria, l’Andalouse, pour Tunis la verte. Je n’ai jamais lu de chroniques à propos de ce voyage et de cette installation à Tunis. J’ai seulement entendu les témoignages les plus divers sans jamais parvenir à me faire une religion. Certains disent que la rue Al Daouara accueille le vrai hammam Remimi et que l’autre se nomme hammam el Halfaoui. Selon eux, la plaque apposée à l’entrée du bain serait donc erronée. Ce qui est difficile à croire car ce sont les services compétents de la Ville de Tunis qui ont posé cette plaque il y a quelques décennies. En passant, soulignons que le terme «Al Daouara» ne désigne pas des tripes ou des andouillettes, comme le suggère d’ailleurs la proximité de la bien-nommée rue Al Kebda (rue du foie). Ce terme désignait chez les Andalous un rond-point, un carrefour, une placette. Donc, à la rue Al Daouara, se trouve un hammam joliment orné, de nos jours, réservé aux femmes et qui serait le hammam historique du sieur Remimi. Bien entendu, tout le monde n’est pas de cet avis. En fait, la clé de cette querelle est toute simple car, par hypothèse, on peut avancer que l’Andalou Mohamed Remimi est le fondateur des deux hammams. Selon une tradition de l’époque, ces hammams complémentaires auraient été destinés aux personnes de sexe opposé ou de catégories sociales différentes. Par ailleurs, le fait est que ces deux hammams comptent parmi les plus anciens encore en exercice dans la capitale. Mieux, un registre fiscal de 1844 relie ces deux bains publics au wakf des Hafassa, attestant ainsi leur ancienneté. Au-delà, la rue Hammam Remimi vaut aussi par les nombreux mausolées et oratoires qu’elle recèle. Comme dans le tissu urbain le plus ancien de Tunis, on retrouve ces petits «masjeds» (mosquées de quartier) tout le long de la rue. Pour ne pas déroger à la toponymie, il existe dans cette rue un «masjed hammam Remimi» dont l’origine remonte à 1781. Avec son petit minaret en briques, ce masjed ajoute à la confusion car il se trouve à l’entrée de la rue Al Daouara, non loin du hammam dont il semble attester du nom et de l’origine. Dans la même rue, le masjed Sidi Moussa ou le masjed Sidi Belhassen el Halfaoui, fondé en 1640, ajoutent à la sacralité des lieux tout comme les nombreux mausolées, les zaouias éparpillées dans les rues perpendiculaires. Ainsi, les rues se réfèrent à de saints personnages de la tradition soufie comme Sidi Fahallah, Sidi Gharsallah ou Sidi El Attaoui. Plus loin, toujours sur la rue Hammam Remimi, l’on peut trouver une rue Sidi Abdelhaq ou une impasse Sidi Belhani qui confirment l’aura mystique de ce long passage entre deux quartiers historiques de Tunis. Il n’en reste pas moins que deux hammams existent bel et bien dans ces parages et que tous deux ont probablement été édifiés par le même Mohamed Remimi, venu d’Almeria au treizième siècle… Quoiqu’en disent les riverains et même si les livres d’histoire sont silencieux à ce sujet. Mais que voulez-vous, Tunis est infini et toutes les histoires de la ville ne sauraient tenir dans un livre d’histoire, fut-il aussi labyrinthique que notre héritage urbain!

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La porte du Hammam el Kachachine est rutilante de couleurs et ne ressemble à aucune autre ! Entre le souk des Libraires et les trois medersas (Slimania, Bachia, Nakhla), ce hammam est l’un des plus anciens de Tunis. Selon certaines sources, il serait même le plus ancien. Cette hypothèse du plus ancien hammam s’explique par la proximité de cet établissement de la mosquée Zitouna. Toutefois, il est clair que la ville a beaucoup évolué de la période pré-hafside à l’époque ottomane. En tout état de cause, ce hammam reste de nos jours l’un des plus anciens à demeurer en activité et recevoir clients et parfois touristes alléchés par la perspective d’un bain à l’aune médiévale. En ce sens, cet édifice mériterait d’être protégé car, simultanément, on assiste à une hécatombe dans le réseau des hammams de la médina et de ses faubourgs. Peu rentables, moins utiles que par le passé, ces hammams tombent en effet comme des mouches et il est clair qu’ils mériteraient un soutien public pour leur préservation dans le tissu de la ville. Unique, avec sa porte multicolore et son accueil à l’ancienne, Hammam el Kachachine reste ouvert (pour les hommes seulement). Et, même le barbier qui se trouve à son seuil fleure bon les hammams d’antan.

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Peu de gens le savent dans le grand public, un hammam de l’époque aghlabide, autrement dit du neuvième siècle, se trouve au cœur du site antique de Dougga. Ce hammam de petites dimensions est accolé aux vestiges de la fortification byzantine qui, au sixième siècle, avait enveloppé le forum et le capitole. On peut voir ce qui reste de ce hammam qui ne comprenait qu’un petit vestiaire et une salle, avec un système de chauffage au sous-sol. Ce hammam est exceptionnel car il demeure à Dougga le seul édifice qui témoigne d’une période postérieure à l’Antiquité. Notons qu’il existe aussi dans le site de Dougga une mosquée construite sur les vestiges d’un temple romain. Cette mosquée a servi jusqu’à une date récente aux habitants qui vivaient encore au milieu des ruines, dans un petit douar. Le douar a été démantelé et ses habitants recasés dans le village qui se trouve en contrebas du site de Dougga. On peut voir cette mosquée non loin du temple de la Piété Auguste, à proximité du Capitole. Sinon, les thermes romains sont nombreux sur le site de l’antique Thugga à l’image des fameux thermes antoniniens dont la fondation remonte au temps de Caracalla. Citons aussi les thermes des Cyclopes ainsi nommés à cause de la mosaïque géante représentant les Cyclopes dans les forges de Vulcain. Cette mosaïque est conservée au musée du Bardo. Citons pour terminer les thermes de Ain Doura, leur nymphée et les citernes qui les surplombent. Ces thermes portent le nom d’une source qui se trouve dans les parages.



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A Utique, scruter l’invisible des siècles…

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